Boire et déboire(s)

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En France, quelques 600.000 femmes auraient un problème d’alcool, tout milieu social confondu. Elles sont deux fois plus sensibles à sa toxicité, par inégalité physique. Sa surconsommation entraîne hypertension artérielle, changement de poids, céphalées, dépressions et troubles psychiatriques. Sujet toujours tabou, Lucille* nous raconte son courageux combat et sa victoire contre son pire ennemi.

Comment on devient « buveuse ». « J’ai d’abord beaucoup fumé puis j’ai rencontré mon futur mari qui détestait l’odeur du tabac et, pour lui faire plaisir, j’ai arrêté la cigarette. J’ai alors transféré mon addiction sur lui : j’étais devenue accro à l’amour. On avait pris l’habitude de prendre chaque soir un whisky mais, à cause de son métier, il rentrait tard et j’ai donc commencé à boire un verre avant qu’il n’arrive, puis un second au fur et à mesure que l’heure avançait, et le niveau de la bouteille descendait à grande vitesse. J’ai décidé d’acheter ma propre bouteille, sans réaliser qu’il n’était pas normal que je boive en solitaire ! Il faut savoir qu’il y a autant de façons de boire que d’alcooliques : il y a ceux du matin, ceux du soir, ceux qui ne boivent qu’en société et d’autres qui le font seuls en cachette. C’est très long avant d’accepter de se dire qu’on est devenue alcoolique, mon mari me disait bien que je buvais trop mais moi je pensais que c’était parce que j’étais fatiguée, qu’il n’était pas gentil avec moi et que le jour où tout irait mieux, j’arrêterais de boire. C’est lors d’un instant de lucidité, au fond de ma cave, je me suis vue boire du rhum au goulot et je me suis dit : Là, ma fille, tu as un problème ! »

L’alcoolisme, une maladie. Lucille le sait maintenant, l’alcoolisme est une maladie très insidieuse qui peut mettre des années, voire même des décennies, avant de se révéler. Elle peut sauter des générations, on peut retrouver un ancêtre atteint du même mal dans sa famille et serait déjà présente à la naissance. On aurait des prédispositions aux addictions sans le savoir. Des signes précurseurs ? On tient bien l’alcool, on est timide en société, à l’occasion d’un évènement, la retraite, un choc affectif ou un deuil, on craque. Sur 10 personnes qui boivent, il y en a une qui développera une maladie alcoolique, statistique vérifiée dans le monde entier. Et on constate une égalité entre hommes et femmes, 50% pour chaque sexe. Même si on dit que, du fait de sa corpulence l’homme peut boire plus qu’une femme, on sait que la quantité d’alcool n’influe pas mais que c’est le fait d’être incapable de gérer sa consommation et de ne pas savoir s’arrêter qui est le signe visible de cette maladie.

Les symptômes. Un porto à l’apéro, c’est tout ! Si cette attitude se répète chaque jour, c’est le début de l’alcoolisme. En France, on en parle peu, surtout quand une femme est concernée, alors qu’aux États-Unis c’est presque banal. Et il faut des symptômes apparents de la maladie pour que la malade consulte : cancer du foie, dégradations physiques majeures surtout au cerveau et comme c’est une maladie addictive, la personne peut arrêter l’alcool et s’adonner à une autre addiction, le tabac, la boulimie, le jeu, etc.. Donc dire à cette malade, « arrête de boire » ne suffira pas. Il faut trouver des outils extérieurs pour l’aider à affronter sa maladie en conscience. Car on assiste à une sorte de dédoublement de la personnalité « Je me voyais mal agir mais je ne pouvais pas m’en empêcher. Je me taisais aussi parce qu’il y avait le regard des gens sur moi qui était terrifiant. Lorsque tu touches le fond, quand ta famille te tourne le dos, que tes amis sont consternés, que tes collègues te trouvent insupportable, tu te retrouves progressivement seule avec ta bouteille. Plus rien ne t’intéresse, tout est dans le brouillard et tu n’éprouves plus aucun sentiment, tu veux rester seule et ne rien faire ».

La prise de conscience. Il faudra un choc pour décider Lucille à essayer de s’en sortir : « Invitée à partir à San Diego avec mon mari, il m’a dit au dernier moment qu’il ne m’emmènerait pas dans l’état où j’étais. Et je me suis retrouvée seule à Paris au mois d’août désœuvrée. J’ai pris rendez-vous avec une addictologue très connue, j’ai comme toujours zappé l’heure et quand j’ai rappelé, on m’a répondu que c’était trop tard. Et pourtant deux choses m’avaient marquée, le regard d’une infirmière plein de mépris qui m’a accueillie aux urgences et le psychiatre de service qui m’a dit : « Madame, si vous ne vous faites pas hospitaliser, vous ne vous en sortirez jamais ! » Et là, j’ai réalisé qu’on a toujours le choix et que notre vie nous appartient. Gainsbourg ne voulait pas se soigner mais moi, j’ai pensé, après tout pourquoi ne pas essayer de m’en sortir ! ». Comas éthyliques, suicides ratés, c’était le moment pour Lucille de franchir le pas et d’accepter de se faire soigner en psychiatrie.

Une victoire à partager. Et aujourd’hui, Lucille n’a pas bu depuis 12 ans et demi, le risque de rechute est toujours là car si elle apprend l’abstinence, elle sait que sur 100 personnes qui ont arrêté de boire, 70 rechutent. Maintenant, à son tour, elle anime chaque semaine des groupes dAlcooliques Anonymes à l’hôpital, parce qu’ « on est tellement heureux d’avoir réussi à maîtriser cette maladie qu’on a envie que d’autres éprouvent la même satisfaction et arrivent à connaître le bien-être de devenir abstinent. J’apporte ma petite pierre à l’édifice, les AA ont sauvé des millions d’accros à l’alcool de par le monde. Je ne vis pas une résurrection mais une renaissance car on ne revient pas à ce qu’on était avant mais on commence une nouvelle vie ».

Vicky Sommet

Lucille *(prénom changé pour des raisons de confidentialité) conseille de lire le roman de Joseph Kessel écrit en 1960 « Avec les Alcooliques anonymes » qui raconte son voyage aux USA où il rencontre les deux fondateurs de ces groupes de paroles, un avocat et un chirurgien. Cette année-là, ce mouvement s’implantera en France, ce qui intéressera l’écrivain car sa femme était alcoolique et lui buvait plus que de raison.
Alcooliques Anonymes  www.alcooliques-anonymes.fr/

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