En mémoire des femmes forçats

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Entre novembre 1944 et avril 1945, Staline fit arrêter sur le territoire hongrois 280.000 civils emmenés dans des camps de travail en URSS. Un tiers d’entre eux, majoritairement des femmes, n’y survivra pas et celles qui rentrèrent n’eurent jamais eu le droit d’en parler… Retour sur un épisode de l’Histoire passé sous silence et sur le courage de ces femmes déportées à travers une exposition à l’Institut Hongrois¹.

La déportation. À la fin de la guerre, Staline voulant se venger d’Hitler décide de réquisitionner de la main- d’œuvre jeune, hommes et femmes, pour travailler dans les mines, les usines ou aux champs et remplacer la population russe partie au front. Lorsque les personnes au nom à consonance allemande sont dénoncées, Irén Frank² est déportée, comme beaucoup d’autres civils issus de minorités hongroise et allemande. On leur prétend qu’il s’agit de prêter main forte trois semaines, là-bas… Ils partent ainsi avec quelques affaires réunies à la hâte, sans se douter de ce qui les attend…

« On vivait au village comme des frères et des sœurs. Il y avait des Hongrois, des Serbes, des Allemands mais la nationalité ne comptait pas. Ce sont les personnes qui comptaient. Beaucoup de mes amies ont été emmenées, trois d’entre elles ne sont jamais revenues. Celles qui rentraient n’osaient rien dire, elles avaient peur ». Veronika Grubics (1926-2016)

Des épreuves terribles. Un grand nombre d’entre eux meurent de faim, de soif, de froid ou de maladie pendant le voyage vers la Russie qui durera trois semaines, entassés dans des wagons à bestiaux. Une fois sur place, la vie dans les camps d’internés est terrible : l’hiver ouralien dure sept mois, les déportés doivent travailler sans arrêt, sauf si la température descend en-dessous de… -30°. Ils souffrent du manque de nourriture, du climat, des épidémies, des insectes… À partir de 1946, de maigres salaires commencent à leur être payés, leur permettant d’acheter quelques vivres aux paysans ou aux mineurs voisins, aussi pauvres qu’eux, la seule différence étant la grille et les barbelés qui les séparent…

Dignes et élégantes en captivité. Les mois passent, il n’y a pas de retour annoncé au pays malgré la promesse sans cesse réitérée. Ceux qui s’enfuient sont rapidement repérés (ils ne parlent pas russe), dénoncés et ramenés aux camps. Les internés finissent par ne plus y croire et organisent alors leur vie du mieux qu’ils peuvent. Les femmes se cousent des robes, restant dignes et aussi élégantes que la captivité peut le leur permettre, les hommes fabriquent des instruments de musique de fortune. Il est vrai que c’est une génération courageuse dont les familles ont déjà été éprouvées par la Première Guerre Mondiale et rodée au travail difficile dans les champs.

La libération. Puis, un jour, à partir de 1947 et jusqu’en 1949, sous la pression des familles restées en Hongrie s’étonnant de ne jamais revoir les leurs et le clamant de plus en plus fort, la libération intervient, aussi soudaine qu’a été la déportation et tout aussi terrible. Les couples qui se sont formés dans les camps et les enfants nés pendant cette période sont séparés, chacun devant repartir dans son pays d’origine. Mais surtout il est formellement interdit à ceux qui rentrent d’en parler. Personne ne témoignera avant la fin des années 1980 !

« Le lendemain de Noël, nous nous sommes réunis devant la maison du notaire. J’avais 18 ans à l’époque. On nous a dit de ne pas emmener beaucoup d’affaires car nous n’allions pas loin, « seulement » à la Grande plaine pour récolter du maïs. Quand je suis revenue, je n’ai pas osé dire où j’avais été et comment c’était. On nous a dit de ne pas en parler sinon nous devrions y retourner. On était effrayé. Cette douleur ne passera jamais, elle nous accompagne tout au long de notre vie ». Teréz Lauer (1926-2013)

János Havasi³, directeur de l’Institut Hongrois, fait revivre aujourd’hui cette génération oubliée, notamment ces milliers de femmes qui ont perdu maison, fortune et liberté (pour certaines même leurs enfants) et dont la tragédie a été passée sous silence. Objets, photos, documents, écrits, récits individuels, films font revivre les épreuves vécues par ces jeunes internées et leur rend hommage dans cette exposition¹ très émouvante. Un magnifique travail de mémoire.

Marie-Hélène Cossé

¹Sous un ciel étranger… Le travail forcé des jeunes Hongrois en Union Soviétique, jusqu’ au 13 octobre 2016 à l’Institut Hongrois, 92 rue Bonaparte, 75006 Paris, Métro Saint-Sulpice, du lundi au samedi de 9h00 à 21h00.
²Irén Frank est déportée sans sa fille de 3 ans. Quand elle rentre de Russie, elle a 8 ans. Son fils János Havasi ne découvre toute la vérité sur sa déportation qu’après sa mort, 59 ans après les faits et décide de lui rendre hommage.
³János Havasi, journaliste hongrois, aujourd’hui directeur de l’Institut Hongrois, a réalisé 7 ou 8 courts-métrages entre 2007 et 2013 –5 ans dans les mines- et a écrit une nouvelle racontant l’histoire de sa mère Irén Frank.

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