La reine du crime a disparu

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Brigitte Kernel adolescente a lu Agatha Christie avant de s’intéresser à Gide ou Camus au lycée. Devenue écrivaine et passionnée par les biographies d’auteurs, elle est intriguée par l’histoire de la brève disparition de la reine des polars, sa mésentente conjugale, sa souffrance discrète mais perceptible et s’aperçoit que tout un chapitre de sa vie avait disparu : le début d’une enquête menée telle une détective chevronnée.

Un travail rondement mené. Partir en Angleterre pour résoudre cette énigme, c’est l’attitude qui s’est mposée à Brigitte Kernel après avoir trouvé un témoignage qui disait qu’Agatha Christie avait dicté ce chapitre à sa secrétaire et, qu’après écoute de la bande, 25 ans après, la voix était inaudible. « J’ai trouvé cela bizarre et je me suis lancée à la recherche de ce chapitre introuvable pour écrire un roman. La colonne vertébrale est vraie et j’ai accompli un travail de journaliste tout en inventant complètement certaines situations. Je me suis appuyée sur des témoins qui ont déclaré l’avoir vue dans les rues de Londres, habillée en homme ou chez Harrods, le grand magasin de la capitale ». Fiction ou réalité, Brigitte Kernel a pris en compte tous les éléments de preuve relatés dans la presse de l’époque et tenté de reconstituer tout le trajet supposé de sa fuite. « Je suis partie sur place à la même période pour être au cœur de l’histoire, j’ai interrogé, même si la plupart des témoins sont morts, leurs enfants ou petits-enfants qui m’ont rapporté des ouï-dire, des commérages et des situations plus concrètes. Avec toute cette matière, j’ai écrit à la fois un roman et une biographie imaginée ».

Qui se cache derrière le masque ? Nous avons tous en mémoire l’image d’une femme déjà âgée, très classique dans son apparence, aidée en cela par le théâtre et confortée par une comédienne comme Vanessa Redgrave qui l’a interprétée au cinéma. Or, Brigitte Kernel décrit la femme qui, en 1926, n’est pas encore la féministe qu’elle deviendra plus tard, ni la mère qu’elle sera en étant très proche de sa fille et encore moins la femme moderne qui la caractérisera après son second mariage avec Max Mallowan, archéologue qui l’initiera à sa science, spécialité qui nourrira certains de ses polars. Agatha participera à la fin de sa vie à des fouilles comme une archéologie aguerrie, une très belle histoire de couple !

Agatha, une femme amoureuse. « Plus jeune, elle est encore une femme coincée dans son carcan bourgeois, elle n’est pas à l’aise avec son corps ni dans son couple parce qu’elle sent qu’Archibald Christie, son premier mari, lui échappe et parce qu’elle sait qu’il la trompe ». Mais elle ne supporte pas cette situation, car elle est très amoureuse d’« Archie ». « Je me suis appuyée pour l’affirmer sur  Loin de vous ce printemps, un roman sentimental paru en 1944 qu’elle a écrit sous le pseudonyme de Mary Westmacott et celui auquel elle tenait le plus, écrit en trois jours et en état de transe ». Une piste pour Brigitte Kernel qui s’est inspirée à la fois du ton employé et du sentimentalisme exprimé. Tous les noms du roman proviennent d’archives ou puisés dans ce livre qui l’a aidée à cerner les contours de son caractère, sentimental à l’excès et sur la remise en question de son couple.

Un monument de la littérature. Plus de 2,5 milliards de livres vendus, la troisième place au classement des livres les plus lus après Shakespeare et la Bible, le plus grand auteur de best-sellers de l’Histoire pour le Guinness des Records, traduit en plus de cent langues, Brigitte Kernel s’est attaqué à un monument ! Courage ou inconscience ? « Totalement inconsciente, simplement parce que l’histoire de cette disparition momentanée d’Agatha Christie me plaisait tellement que je n’ai pas pu résister ! De la même manière, j’avais écrit un portrait d’Andy Warhol, après la tentative d’assassinat de Valerie Solanas, une militante féministe, pour une collection éditée chez Plon où un romancier s’emparait d’un personnage et l’envoyait chez le psy. Si déjà à l’époque j’avais réfléchi à ce personnage hors norme, je ne l’aurais jamais écrit » !

Aujourd’hui, elle est confortée par l’engouement pour son livre et adoubée par deux spécialistes reconnus de l’auteure de polars, François Forestier et François Rivière, qui ont écrit dans leurs journaux respectifs que son histoire était plausible. Après un an de travail, ne reste plus que voir son ouvrage traduit en anglais… Mais les Anglais vont-ils apprécier qu’une Frenchie s’attaque à leur héroïne ? Ça c’est une autre histoire !

Vicky Sommet

Agatha Christie, le chapitre disparu -Brigitte Kernel – Éditions Flammarion-272 p.-18€

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