Christine Viennet, la sirène de Raissac

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Jean, son mari, la connaît depuis près de soixante ans. Christine Viennet est née en Norvège, un pays d’eau. Sur les murs de leur château à Raissac*, Jean a peint toutes les femmes de sa famille en sirènes. Christine y figure entourée de ses poteries. Outre le charme qu’elle dégage, Christine est une céramiste accomplie, une hôtesse sans faille, une collectionneuse, une muséologue et une écrivaine.

Une vraie viking

Jean déclare aussi que sa femme est une pugnace, une travailleuse, une courageuse, une vraie viking qui ne lâche jamais le morceau. Elle n’a pas froid aux yeux, c’est un chef, il « s’écrase » devant elle ! Petite, Christine vit à la campagne dans un mètre cinquante de neige, à bâtir des châteaux dedans. Sa passion pour la sculpture et le modelage lui viennent de là. À 16 ans, elle suit un atelier de poterie à Paris pendant les vacances scolaires. Elle travaille avec zèle, enthousiasme et le sourire.

Un univers médusant

Un peu plus tard, elle voue une admiration sans bornes au céramiste Bernard Palissy**. Très vite, elle commence à acheter des plats dans le style Palissy. Observateur et protecteur de la nature, l’homme qu’elle admire travaille l’humide : des grenouilles, des lézards, des serpents, des crabes, des crustacés, « un univers médusant ! », s’exclame malicieusement Christine. Palissy fait le lien entre la nature, la symbolique et le divin. Pour se libérer de son emprise, elle écrit un livre qui paraît aux Éditions Faton en 2010 : « Bernard Palissy et ses suiveurs du XVIe siècle à nos jours ».

Une libération par la mer

Aujourd’hui, Christine peut, tout à loisir, se plonger dans la mer, au propre comme au figuré. La nature l’inspire, elle y revient toujours. La mer la fascine avec ses silhouettes, ses couleurs, mais aussi sa symbolique puissante : un univers secret qui contient des formes, des êtres, des organismes différents des nôtres et surtout les débuts de la vie sur terre. Un retour au divin : il y a un parallèle entre la connaissance de l’âme et ces univers qui n’ont pas fini d’être découverts par l’Homme. Et pour l’artiste c’est une liberté extraordinaire de pouvoir modeler des êtres qui prennent des formes les plus incroyables dans l’eau.

Un cheval de labour

Christine ne se calme jamais. Elle sait obtenir ce qu’elle veut. C’est une artiste doublée d’une femme d’affaires hors pair, estime encore Jean. Résultat, elle arrive toujours en retard pour goûter ses petits plats, parce que c’est lui qui fait la cuisine à la maison ! Son principal défaut ? C’est qu’elle n’en a pas, ajoute enfin Jean. C’est elle qui a aménagé le Château de Raissac, financièrement et physiquement. Elle a peint les plafonds, les volets, les murs. Elle a tapissé alors qu’elle ne sait pas coudre. Un vrai cheval de labour dit Jean… Lui, il s’occupe des vignes et il peint.

Des gîtes, des collections permanentes, de la céramique

La sirène de Raissac a créé cinq chambres d’hôtes, en activité depuis dix ans. Les quelque six mille pièces de son musée de la faïence et des collections sur les manufactures des arts de la table du XIXe siècle, logent dans les écuries du château et dans le grenier à foin. Son musée, où sont exposés les suiveurs de Palissy, se trouve au rez-de-chaussée. Et elle vient récemment d’installer un autre musée dans la propriété familiale du Fort St-André à Villeneuve-lez-Avignon**. Jean admire sa femme, c’est ce qui les unit depuis si longtemps. La céramique c’est lourd, on se casse le dos, on travaille dans le feu, avec des produits toxiques (oxyde de zinc). Cela demande beaucoup d’abnégation. On ne sait jamais comment la pièce sortira à la cuisson.

Une femme d’eau

Au niveau artistique, la sirène de Raissac n’est pas figée. Il y a une évolution dans son œuvre. Au début de sa carrière il y a eu les trompe-l’œil. Elle voyageait partout dans le monde. Tous les décorateurs, les restaurants, les magasins vendaient ses œuvres. Maintenant avec le monde marin, quand elle réalise une pièce, elle prend des notes sur des petits bouts de papiers. Ce manque d’organisation, de rationalisation de son travail lui permet de faire d’autres découvertes, estime-t-elle.

La sirène de Raissac a raison de prendre les choses en mains, puisque le vilain cachalot de Jean dit qu’elle a souvent raison. Elle a exposé à Paris en novembre et ira à Biarritz et à Sète en 2016. Maintenant elle s’attaque aux visages humains. Elle avance dans ses créations : c’est toujours la pièce à venir qui sera la meilleure. Elle promet qu’elle va se lâcher, délirer… Quoiqu’il en soit, cette activité débridée lui permet de garder un sourire charmant, l’œil vif et une ligne de mannequin pour plaire à Jean.

Isabelle Brisson
Mid&SudOuest

*Château de Raissac, route de Murviel, 34500 Béziers, tél. 04-67-28-15-61. Visites sur rendez-vous.
**Bernard Palissy (1510-1589), potier, émaileur, peintre, artisan verrier, écrivain et savant français. Il appartient à l’école française de la Renaissance. La majeure partie de son œuvre est exposée au Musée national de la Renaissance du château d’Ecouen.

***Le Fort Saint-André, rue de la montée du Fort, 30400 Villeneuve-lès-Avignon, tél. 04-90-25-45-35.

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