Femmes invisibles

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Qui sont ces femmes, invisibles pour ne pas être des proies, vivant en grande précarité seules dans la rue, marchant la nuit et se reposant le jour pour éviter les agressions ? Agnès Lecordier, fondatrice avec ses deux sœurs d’un Fonds du même nom, nous ouvre les yeux et nous explique comment, chacune à notre mesure, nous pouvons contribuer à aider, même avec de petits gestes simples.

Nier leur humanité, c’est nier la nôtre (Luc Ferry)

Agnès Lecordier est prof. À son retour d’Égypte où elle enseigne, elle pense qu’elle ne veut pas voir en France ce qu’elle y a vu dans la rue, « je ne peux pas me regarder en me disant que je n’ai rien fait », mais comme il n’est pas dans nature de se lamenter sans rien faire, elle décide en 2008 de monter avec ses deux sœurs, l’une kiné, l’autre à la retraite, un fonds pour venir en aide aux femmes SDF. Aujourd’hui, Agnès reconvertie dans l’immobilier s’en occupe toujours (20 à 30 heures par semaine), une de ses sœurs étant trésorière et l’autre membre du Conseil d’Administration.

Pourquoi aider les femmes ?

« Deux SDF sur cinq sont des femmes. Or, on ne peut pas s’occuper d’elles comme des hommes, car leurs besoins sont différents »confie Agnès Lecordier.Les places d’hébergement existantes sont non seulement insuffisantes, mais mixtes. Or, les femmes ne veulent pas y aller car elles ont peur… Le 115 qui est une formidable initiative et un grand progrès est saturé d’appels… Enfin, si les structures existent pour les femmes âgées, les femmes mères, les femmes jeunes, il en existe très peu pour les femmes seules entre 30 et 50 ans sans enfants, ce à quoi les trois sœurs décident de s’attaquer.

Ce que propose la Fondation

-l’accueil de jour (financement de l’Association Femmes SDF de Grenoble, structure d’accueil unique en France pour les femmes),
-l’hébergement d’urgence ou pérenne (financement de chambres dans lesquelles sont accueillies environ 200 personnes par an),
-le financement de séjours dits de rupture (10 à 15 femmes par an sont reçues pour des courts séjours à la campagne chez des agriculteurs grâce au CIVAM),
-la santé (financement d’un camion médicalisé circulant dans Paris piloté par des médecins bénévoles de l’ADSF et organisation de petits-déjeuners santé où les femmes peuvent rencontrer un spécialiste santé pour les amener à accepter d’avoir des soins).

Leurs projets ?

Ils sont nombreux, il y a tant à faire ! Poursuivre les actions en cours, travailler en partenariat avec les médecins de l’ADSF à l’ouverture à Paris d’un centre d’hébergement dédié aux femmes dans la rue depuis longtemps, financer des formations pour les femmes le temps de leur hébergement, etc. « Notre but est de lancer des projets pour montrer que ça marche, puis de laisser les structures que nous soutenons chercher d’autres financements, afin de nous permettre de trouver de nouvelles actions à mener. »  

Pourquoi aider les femmes ?

Des pupilles de la nation qui ne sont plus prises en charge par l’État après 25 ans, des femmes qui n’ont jamais travaillé et se retrouvent dans la rue après un divorce, celles qui ont été collaboratrices de leur mari, des veuves, des femmes âgées sans revenus (même une femme de plus de 90 ans…), celles qui sont malades et perdent emploi et maison, celles qui n’ont pas fait face à la pression…

« Être belle, une bonne mère, performante au travail, bien soignée étaient si difficile à atteindre que j’ai préféré ne pas m’y confronter et rester en dehors du système… »
©Femmes invisibles - Mid&Plus

Que faire ?

323 morts dans la rue depuis le début de l’année, 48 ans d’âge en moyenne… « Il ne sert à rien de se lamenter », dit Agnès Lecordier, des tas de gestes sont possibles, chacun à sa mesure, en passant d’un regard, un sourire, une main tendue, une conversation au détour d’une rue à l’une d’entre elles, un like sur la page Facebook d’une association, jusqu’à déposer des produits d’hygiène féminine au Fonds Lecordier ou à UN Women pour qu’ils soient distribués par les bénévoles de l’ADSF ; participer aux collectes de vêtements d’Action Froid ; soutenir financièrement le Fonds Lecordier en faisant un don déductible des impôts ou de la recherche de fonds autour de soi ; devenir une de leurs bénévoles (animer les réseaux sociaux, faire de la com, du graphisme, la liaison avec les entreprises, des maraudes, etc.).

La vie dans la rue est dure pour tous, mais elle est un enfer pour les femmes. Nous sommes toutes concernées. « Pour ne plus jamais entendre : je suis morte avant d’être morte ».

Marie-Hélène Cossé

Le Fonds Lecordier  récolte environ €150.000 par an et a 4% de frais de fonctionnement. 

Voir les documentaires : Femmes invisibles, survivre dans la rue de Claire Lajeunie (2015) ou Elles sont des dizaines de milliers sans abri de Mireille Darc et Valérie Amsellem (2015).
Lire Mes années barbares d’Anne Lorient (Éd. La Martinière, 2016).

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