Roseline Jomier : s’évader par la lecture

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Dans un engagement bénévole, comment se retrouve-t-on un jour bibliothécaire au sein de la prison de la Santé ? Ce lieu pénitentiaire actuellement fermé pour cause de réhabilitation totale, Roseline Jomier a voulu témoigner de son expérience de 12 ans dans un livre coécrit¹ et préfacé par Jean-Marie Delarue, ex-contrôleur général des lieux de privation de liberté.
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Un engagement régulier

Après des études d’attachée de presse et une courte expérience professionnelle, Roseline s’est très vite consacrée à sa vie familiale (4 garçons et une fille) et aux déménagements professionnels de son mari via USA,  Londres et provinces. Engagée, elle l’a toujours été. Grande lectrice aussi. Son attention fut donc attirée par l’UNCBPT, Union Nationale Culture et Bibliothèque pour Tous, dont la vocation concerne 3 pôles : le grand public, le milieu hospitalier et certaines maisons d’arrêt.

« Est-ce peut-être parce que je ne voyais pas d’identification possible
dans ce monde complètement étranger pour moi ?
»

Roseline choisit sans hésiter d’intervenir en prison

Formée spécifiquement pendant un an, Roseline se vit confronter de septembre 2003 jusqu’en 2014 à la mythique prison parisienne, plus connue sous le nom de « La Santé », et aux codes qui en régissent le fonctionnement. Munie de sa carte d’accès, elle connaîtra le temps où la bibliothèque se cantonnait à l’espace réduit d’une modeste cellule, puis celui plus confortable de la Médiathèque Robert Badinter (200m2) conçue  conjointement avec administration, détenus et associations avec un bel équipement tels des ordinateurs (bridés) dont la durée de vie sera éphémère, faute de maintenance et de moyens financiers.

Gabarit menu, regard pétillant, débit rapide, Roseline, une fois « ses appréhensions apprivoisées », les agressions Roseline Jomier - Mid&Plusauditives (clés, sirènes, cris…) et olfactives (odeurs corporelles, cuisines exotiques…) domptées, s’est attachée sans relâche à sa mission hebdomadaire. Ignorer de préférence les causes de l’incarcération de son interlocuteur. Ne pas ciller en remplissant la fiche de lecteur tout en croisant le regard d’un tueur en série. Essayer de répondre à toute demande, de Thucydide pour un détenu VIP à une bible en roumain pour un nouvel arrivant émigré. Car, détrompez-vous, les titres demandés ne sont pas uniquement des biographies de « héros » du milieu ou des récits liés au grand banditisme !

Carnets de Santé

Désormais « mise à pied » du fait de la réhabilitation engagée des bâtiments, trois des bibliothécaires (douze intervenaient) souhaitaient témoigner de cette expérience forte et partagée en ce lieu. Déclinant l’alphabet de A comme Achats de livres à Z comme Zigzag de la vie d’un bouquin en passant par L comme Liberté à travers la consultation et la lecture de cartes géographiques, de magazines de jardinage ou de bricolage, de dictionnaires et romans, ces bénévoles nous laissent entrevoir à travers leurs Carnets un pan de cette réalité carcérale. Anecdotes et souvenirs émouvants ponctuent cet original abécédaire. Un peu d’humanité dans ce monde brutal.

La lecture, un droit pour tous

Au Brésil, un livre lu par un détenu engendre quatre jours de remise de peine (avec contrôle des emprunts, dissertations à l’appui…), l’initiative a été évoquée en France et restée sans suite pour l’instant… Chacun sait toutefois que la lecture dans ce cadre précis est non seulement un droit mais aussi un facteur d’ « évasion », d’information, d’éducation et d’aide à la réinsertion, un moment furtif d’intimité au milieu de tant de promiscuité… Mais derrière ces hauts murs,  la culture n’est pas la priorité.

Aujourd’hui, Roseline se tourne vers une nouvelle mission : l’alphabétisation. Apprendre aux autres les lettres pour pouvoir leur permettre un jour d’ écrire… et de lire.

Christine Fleurot
*Article translated in English by My French Life

¹Carnets de Bibliothécaires à la Prison de la Santé coécrits avec Blandine Babinet et Chantal Bourgey – En cours d’édition chez L’Harmattan.

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