Que d’expositions à Paris en une seule saison ! Elles sont le plus souvent organisées par des musées aux riches collections qui, pouvant prêter certains de leurs chefs d’œuvre, parviennent à faire venir des œuvres rares, auxquelles le plus grand nombre des Français ne pourraient accéder. La muséographie est souvent convaincante et originale. Que reste-t-il à voir en juillet et août ?
Quelques découvertes. La première a été le peintre tchèque Kupka, pionner de l’abstraction au Grand Palais. Sa diversité est exceptionnelle, dessinateur et caricaturiste, symboliste et expressionniste, abstrait et constructiviste. C’est aussi un remarquable coloriste. Bien sûr, certaines époques vous plaisent plus que d’autres. Comme l’exposition est longue, une seconde visite est recommandée pour affiner vos préférences. Jusqu’au 30 juillet.
Deuxième découverte, L’avant-garde russe à Vitebsk au centre Pompidou, avec Chagall (plus varié que les œuvres parisiennes de la fin) et « le suprématisme » de Malevitch, Lissitzky et autres. C’est une page d’histoire émouvante : l’explosion des artistes juifs lors de la révolution bolchévique, à qui est accordée une pleine liberté, notamment dans cette ville de Vitebsk où ils étaient quasiment confinés. L’histoire a rapidement mal tourné. Le premier directeur et commissaire des expositions, Chagall, fit venir Kazimir Malevitch, qui rapidement imposa l’abstraction et la géométrie, au lieu des œuvres plus poétiques, lyriques et personnelles du fondateur. Chagall préféra se retirer. Dès 1922, l’école fut fermée, le « réalisme socialiste » allait s’imposer avant que ne vienne le temps des purges. Les œuvres exposées sont très variées, cubisme, suprématisme se limitant à des plans ou architectural (tridimensionnel) et figuratif se côtoient. On peut critiquer l’approche systématique et exclusive du suprématisme tout en saluant sa capacité inventive. Jusqu’au 16 juillet.
Au Musée Marmottan, ma surprise a résulté de la découverte des portraits de Corot, le peintre et ses modèles, dont je ne connaissais que les paysages. Ils occupent une place marginale dans son œuvre car il ne les exposait pas. Il a peint des personnes de sa famille et de son entourage et à côté de ses intimes des paysannes romaines et des nus. Certaines toiles font penser à Manet. Si vous voulez en savoir plus sur le musée, lisez l’excellent roman policier de l’historien d’art, Adrien Goetz, Intrigue à Giverny. Puis vous vous rendrez à l’Orangerie. Jusqu’au 22 juillet.
L’épopée du Canal de Suez à l’Institut du Monde Arabe. Jack Lang a cherché l’équilibre entre le début, l’inauguration triomphale et impériale par Eugénie et la fin, la nationalisation brutale et conquérante par Nasser. L’exposition est destinée à être montrée en Egypte, où subsisteraient des adversaires du canal. L’intérêt historique est évident, depuis le premier canal dans l’antiquité, jusqu’à l’agrandissement actuel, dont il est peu parlé, sans parler de nos amis anglais qui après avoir cherché à tout bloquer se sont retrouvés en « pôle position ». L’intérêt est également documentaire, le creusement et ses difficultés techniques. Une anecdote fait sourire. La statue de la « Liberté éclairant le monde « d’Auguste Bartholdi devait être placée au débouché du Canal sur la Mer Rouge et représenter une fellahine égyptienne faisant le lien entre Orient et Occident mais le projet, faute de financement, ne fut pas réalisé. Jusqu’au 5 août.
La courte exposition de l’Orangerie sur Nymphéas. L’abstraction américaine et le dernier Monet peut s’interpréter comme une énigme de type policier à la Adrien Goetz. Qui était le dernier Monet ? Un vieux monsieur qui ne voyant plus rien était devenu un barbouilleur incapable de dessiner et mêlant de façon confuse toutes les couleurs ? Ou un inventeur qui fatigué d’un impressionnisme pratiqué pendant plusieurs dizaines d’années est l’inventeur d’une abstraction d’un type nouveau qui a inspiré de grands peintres américains ? C’est la thèse du directeur du MOMA qui fit entrer dans son musée un grand panneau de Nymphéas en 1955. Ce Monet abstrait serait la passerelle entre le naturalisme et l’école d’abstraction des Etats-Unis. La juxtaposition d’excellentes toiles de Pollock, Rothko, Guston, Newman, Joan Mitchell et des Monet de la fin semble donner raison au directeur du MOMA. Pour vous convaincre, regardez le Fonds Monet de Marmottan et les salles des Nymphéas de l’Orangerie. Jusqu’au 20 août.
Des ustensiles de cuisine en acier inox se battent en duel dans les vastes salons Louis XVI de la Monnaie Quai Conti, avec en prime des bicyclettes dorées, de vieux projecteurs de cinéma et le corps mouvant de l’artiste recouvert de bouse de vache, Subodh Gupta. Cet Indien, né dans un quartier pauvre d’une ville pauvre, est un bon cuisinier, selon ses dires, et il voit dans la cuisine et les récipients utilisés dans la vie quotidienne le symbole de l’Inde et même du cosmos. Ses liens avec la France sont anciens, il est venu y travailler et a été reconnu et acheté par François Pineau. Est exposé le Trésor en or et en argent de l’Empereur d’Annam, transformé en pièces pour financer les dépenses de la colonisation. Jusqu’au 26 août.
Pierre-Yves Cossé
Un Breton à Paris
Extrait de Fragment 147