Portrait de Madeleine

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On l’a toutes en tête, cette beauté noire, peut-être entre-aperçue au cours de nos déambulations au Louvre, mais surtout restée dans nos mémoires depuis cette belle exposition sur le modèle noir à Orsay dont elle faisait même l’affiche. Un tableau* qui nous raconte l’Histoire et des histoires.

Peint en 1800 par une femme, Marie-Guillemine Benoist, artiste-peintre néoclassique française et excusez du peu, élève d’Elisabeth Vigée-Lebrun et de David, l’oeuvre a été achetée par Louis XVIII pour l’État Français en 1818 et est exposée aujourd’hui au Louvre.

Entre ombre et lumière

L’histoire qui nous est d’abord contée est celle de cette fin de 18e siècle, pendant lequel, alors que les femmes sont vues avant tout comme des mères ou des épouses, elles ont pourtant mené un combat pour la féminisation des arts qui permettra à certaines de devenir peintres. Cela commence sous l’Ancien Régime et continuera sous la Révolution dans laquelle elles sont embarquées (ou même pour certaines d’entre elles conduites à la fuite ou à l’échafaud). La docte Académie de peinture autorise quatre femmes en son sein mais les limite à certains sujets, les fleurs par exemple, mais surtout pas de nus (elles sont interdites dans ces ateliers-là) et pas de sujet d’histoire (qu’est-ce qu’elles y connaissent à l’histoire ?). Et bien Marie-Guillemine, dès ses débuts, a résisté (comme d’autres) et déjà son tableau «  L’Innocence entre la Vertu et le Vice », peint en 1790 sous le couvert d’un sujet mythologique, reflète ses convictions féministes, le Vice y étant représenté sous les traits d’un homme alors qu’il l’est traditionnellement sous ceux d’une femme…

Liberté, égalité, fraternité

Marie-Guillemine continue sa carrière de peintre avec succès et expose au Salon de 1800 ce « Portrait d’une négresse » qui assoit immédiatement sa réputation et continue de nous parler de ce 18e siècle en feu. Exposé au salon de 1800, six ans après la première abolition de l’esclavage, elle brise les conventions en exposant ce magnifique portrait d’une femme noire qui nous regarde avec fierté comme un manifeste de l’émancipation des esclaves et du féminisme. L’artiste, en avance sur son temps par le soin qu’elle apporte à cette représentation (la peinture de la peau noire était un exercice rare et peu enseigné car jugé ingrat), nous invite à regarder une jeune femme assise dans un fauteuil à médaillon, drapée des couleurs de la France (un riche tissu bleu, une robe ceinte d’un ruban rouge et d’une turban blanc), immobile sur un fond vide, avec les bras posés sur le ventre et la cuisse. Elle a le profil tourné vers la peintre ou le spectateur et occupe la place traditionnelle d’une femme blanche. L’artiste a compris l’importance du sexe, de la race et de la classe sociale et d’une modernité qui s’annonce.

De l’anonymat à la célébrité

C’est aussi l’histoire de Madeleine, une esclave affranchie née en Guadeloupe, employée comme domestique auprès du beau-frère de l’artiste et longtemps restée anonyme. L’épaule et le sein droit érotiquement dénudés évoquent la fécondité nourricière mais aussi les Amazones. C’est le véritable portrait d’une beauté noire énigmatique qui nous observe avec fierté, dans une attitude éloignée de la servitude « dénuée de tout pittoresque exotique malgré la mémoire d’un anneau à l’oreille ». Elle nous regarde droit dans les yeux et c’est une femme libre que l’artiste a su et voulu représenter.

Ce tableau est considéré comme le chef-d’œuvre de Marie-Guillemine. Reconnu à présent partout, il apparaît même dans la fin d’un clip de Beyoncé et Jay-Z, vu plus de 165 millions de fois sur YouTube, et la Poste n’est pas en reste puisqu’elle a émis un timbre la représentant.

Madeleine nous fait penser à l’un de ces chants poétiques de Senghor  : « Femme nue, femme noire, vêtue de ta couleur qui est vie, de ta forme qui est beauté, j’ai grandi à ton ombre, la douceur de tes mains, bandait mes yeux. »

Anne-Marie Chust

*Le tableau a eu plusieurs titres allant de « Portrait d’une négresse » à « Portrait d’une femme noire » pour finir par s’appeler « Portrait de Madeleine » dans l’exposition en question (et au Louvre maintenant). 

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