Ne le niez pas, vous avez rêvé de vous retrouver dans un safari au Kenya près d’une source à la place de Meryl Streep, avec Robert Redford vous prodiguant un shampoing à la fois exfoliant et sensuel ! Ce film très romantique de Sydney Pollack, Out of Africa tiré du roman éponyme de Karen Blixen, nous raconte son aventure africaine et son amour pour Denys Finch-Hatton et les Africains, mais seulement une partie de la vie compliquée d’une des aventurières les plus flamboyantes du XXe siècle.
« Rêver, c’est le suicide que se permettent les gens bien élevés. »
Spectres, visions et possession
Tout commence au Danemark en 1885. Son vrai nom est Karen Christenze Dinesen. Elle grandit dans une famille de la grande bourgeoisie (voire la noblesse) danoise, un milieu cultivé et fortuné, une propriété agricole, Rungstedlund, où se trouve une maison de rêve devenue sa fondation et qui se visite encore aujourd’hui. Un rêve qui prend des allures de cauchemar. Elle a 10 ans et son père, écrivain lui-même, se donne la mort par pendaison. Neurasthénie scandinave ou peut-être plus prosaïquement la syphilis ? Prémonitoire en tout cas… Cet événement tragique la marquera sa vie durant et l’inspira très jeune pour travailler sur des contes macabres, tragiques et ensorcelants qu’elle publiera sous l’un de ses pseudonymes (Osceola du nom du chien de son père).
Le champ des possibles
Sa jeunesse, plutôt dorée, la fait côtoyer le beau monde aristocratique, aller de fête en fête, vivre la vie d’une mondaine virevoltante, sans doute un peu blasée. Elle rencontre les jumeaux Hans et Bror Von Blixen-Finecke, elle tombe éperdument amoureuse de Hans, mais ce n’est pas réciproque, et elle finit par épouser Bror, un être charmant, superficiel et inconséquent. Il a le titre, elle a l’argent, ils forment une association. C’est aussi une façon pour elle de quitter le Danemark, un peu trop étroit pour elle, et de partir à l’assaut du continent africain dont on lui a vanté la beauté et les importantes possibilités économiques. Ce sera l’acquisition d’une ferme au Kenya et une exploitation de café. Karen, la bourgeoise artiste et d’humeur changeante, ses talents littéraires et ses désirs de grandeur, a l’ambition de faire de sa ferme africaine une oasis de civilisation. Elle part d’ailleurs avec dans ses bagages ses plateaux en argent, ses verres en cristal, ses porcelaines, et même un lévrier ! De quoi meubler une grande case…
Magie africaine
L’attirance de Karen Blixen pour les Africains est immédiate. Ils deviennent ses vrais « compagnons de route » et elle créera un véritable lien profond avec eux (sa ferme se visite toujours au Kenya). Le cher Bror, pas vraiment gros travailleur, ne s’occupe pas beaucoup de la ferme, il va de chasse en maison close et lui transmet la syphilis dont elle ne guérira jamais. Ils resteront plutôt bons amis, même s’ils finiront par divorcer, et elle gardera toujours son nom (un poil snob, notre baronne). C’est même lui qui lui présentera Denys Finch-Hatton dont elle tombera infiniment amoureuse mais qui, si on creuse un peu, a tout de l’aventurier égoïste, même si terriblement séduisant (peut-être pas autant que Robert mais pas mal quand même !). Il est vrai qu’il lui révéla ses talents de conteuse et l’encouragea à devenir une Shéhérazade des temps modernes. Il mourra d’un accident d’avion. Plus jamais là, mais avait-il vraiment jamais été là pour elle ?
Figure littéraire acclamée
C’est la fin de l’aventure africaine, de mauvaises récoltes et l’instabilité économique ont eu raison de sa ferme. Et puis le retour au Danemark. Elle est alors financièrement ruinée et sentimentalement désespérée, et, croit-elle, sans avenir. Pour combler le vide de sa vie et apaiser ses douleurs, elle se met à écrire en anglais et, en vraie combattante, finit par être publiée. C’est dans les lumières du Nord de son Danemark natal qu’elle écrira son œuvre la plus célèbre, La ferme africaine. Karen est devenue l’une des plus grandes figures littéraires du Danemark, acclamée dans le monde entier, en tournée quasi-permanente. Après la seconde guerre mondiale, son domaine devient un cercle littéraire où elle reçoit de nombreux jeunes écrivains et intellectuels danois. Une amitié particulière la lie à un jeune poète de trente ans son cadet : une union mystique, un vœu d’amour éternel, une sorte de pacte du nom du livre qu’il publia plus tard. Il lui confiait son âme en échange d’une protection éternelle. Cela ne se termina pas bien, une histoire d’emprise. On dit que d’autres jeunes gens en feront également l’expérience…
À coup de traitements au mercure pour soigner cette syphilis qui ne l’avait, en fait, jamais quittée, sa santé ne fait qu’empirer. Durant les sept dernières années de sa vie, elle semblait vraiment trop légère et trop fragile pour un être vivant. Elle mourut en 1962 d’amaigrissement excessif. Karen Blixen, une vie romanesque, ou plutôt des vies romanesques, et une troublante complexité : douce et hautement manipulatrice, une femme tour à tour sophistiquée, ambitieuse, magnétique, séductrice, mais aussi fragile.
Anne-Marie Chust
Quelques œuvres : Sept contes gothiques (1934), La ferme africaine (1937), Le festin de Babette (1958), Lettres d’Afrique 1914-1931 (1992)
Excellente série TV en ce moment sur OCS sur son retour au Danemark : The dreamer : Becoming Karen Blixen
Et bien sûr : Out of Africa de Sydney Pollack avec Meryl Streep et Robert Redford (1985)
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