La jalousie, la force obscure de l’amour

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Sentiment d’attachement possessif, voire exclusif, la jalousie nous tourmente et peut nous détruire. Les jaloux se réclament de l’amour ou de l’attachement à l’autre, mais les causes sont à chercher plus souvent en eux-mêmes que dans les personnes qu’ils disent aimer.

Il y a dans la jalousie plus d’amour propre que d’amour¹

Le manque d’estime de soi est ainsi une des clés de la jalousie : c’est parce que le jaloux n’est pas sûr de lui qu’il remplace la confiance par la surveillance. Il n’arrive pas à se dire  qu’il a assez de qualité pour retenir l’autre ou l’inciter à revenir si il s’éloigne. Il n’a pas assez de force en lui pour envisager de continuer à vivre seul au cas où il serait abandonné². Le doute, la souffrance liés à l’absence ou l’éloignement de l’autre peuvent être des ressentis normaux. Freud distingue la jalousie normale, qui est la souffrance associée à la crainte de perdre un être cher, la jalousie projetée (les jaloux sont en proie à des désirs intenses qu’ils projettent sur les soupçons qu’ils ont à l’égard de l’être aimé, car on trouve innocent de désirer et atroce que l’autre désire) et enfin la jalousie délirante. Dans ce cas, la jalousie se transforme en agressivité ou en comportements intrusifs et on entre dans une attitude maladive, toxique et à risque.

Car on redoute les jaloux, on les fuit.

Vestige de l’enfance

En voulant asservir l’amour qu’on nous porte, on le tue à force de malaise, d’hypocrisie (ne surtout pas montrer qu’on est torturé) et d’insécurité. La jalousie est davantage un sentiment de dépossession, que d’amour : ce n’est pas moi qu’il aime, c’est elle ! Nous dépendons de l’amour des autres. C’est un vestige de notre petite enfance, car sans l’amour exclusif de notre mère, nous serions morts. Au début d’À la recherche du temps perdu, le narrateur est jaloux des invités au point d’avoir envie de se jeter par la fenêtre, car les soirs de réception, sa mère ne monte pas l’embrasser au moment du coucher. Mais même devenus adultes, nous avons tendance à continuer de souffrir de tout éloignement affectif alors que notre survie n’est plus en jeu. C’est cette douleur primale qui nous rend jaloux alors que nous devrions être tolérants. Nos conjoints ont le droit d’avoir des complicités et l’envie de séduire, nos enfants ont le droit de nous quitter, nos amis ont le droit d’avoir d’autres amis.

N’exigeons pas de l’autre un amour exclusif.

Ne pas perdre le lien à soi-même

Gide écrivait : « Je ne veux pas être aimé, je veux être préféré. » Certes ! Mais, prenons garde de ne pas exiger d’être le seul objet d’attention au risque de s’exposer à de grandes souffrances, celles de souffrir quatre fois comme l’explique Roland Barthes dans Les fragments d’un discours amoureux. Il y définit la jalousie comme cumulative : souffrance d’être jaloux, de craindre que cela ne blesse l’autre, de se le reprocher et de se laisser assujettir à une banalité, car la jalousie est un sentiment commun, souvent objet de moqueries. La jalousie excessive, et son corollaire l’intransigeance, ne peut mener qu’à l’échec, comme dans le roman³ d’Albert Cohen où Solal, le Don Juan, l’infidèle, ne supporte pas qu’Ariane ait pu avoir un amant avant lui, qu’un autre homme lui ait donné du plaisir. Il y a au fond une escalade dont on doit se méfier car, après le désir bien légitime d’être aimé et celui d’être préféré, surviendra, si nous n’y prenons pas garde, le désir d’être le seul, l’unique être aimé.

Et là, c’est l’exigence de trop…

Michèle Robach

¹François de La Rochefoucauld.
²« Qu’est ce que je vais devenir si il ne revient pas? Sans lui, je ne suis plus rien » : réplique dans L’enfer, film de Claude Chabrol.
³Belle du seigneur d’Albert Cohen (1968).

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