La gourmandise et moi

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Prisonnières de leur corps, les femmes culpabilisent quand elles mangent. Pas toutes, loin s’en faut ! Les maigres, les minces, les anorexiques et les dingues de régime se distinguent de celles qui ne se nourrissent pas, mais mangent. Car les « mangeuses » ont droit de cité depuis les calendes grecques jusqu’à aujourd’hui…

À table messieurs !

Les hommes sont souvent vus à table au cinéma, célébrant entre eux leur bonne fortune et presque toujours en l’absence de femmes. De La Grande Bouffe à L’aile ou la cuisse, les femmes sont aux fourneaux mais pas à table. En littérature, de Gargantua aux Trois mousquetaires, mais où sont-elles donc ? Ah ! mais pour sûr, il y a bien la belle Ève qui joue les tentatrices en croquant la pomme et en la tendant à Adam pour partager ce repas à deux. La cuisine aurait, dit-on, une dimension politique, sociologique et culturelle au point que des chercheurs universitaires à travers le monde se sont emparés du sujet comme les études sur le « gender and food », en laissant de côté la cuisine matrimoniale qui se transmet de mère en fille. Si on s’attarde sur l’origine du mot pain, on voit que le compagnon est celui avec qui on partage le pain (cum panis) et dans d’autres langues, le pain bread ou brot, a les mêmes racines que brother ou bruder, soit le pain et le frère.

Je mange la vie !

Il y a les gloutonnes et les gourmandes, les affamées et les ogresses, celles qui résistent et celles qui ne se contrôlent pas, les fanatiques de la minceur et les jemenfoutistes de la bouffe. Bref, elles sont nombreuses à avoir toujours un œil inquiet sur les menus au restaurant, sur les indications caloriques des emballages et sur le cadran de la balance qui peut vous ficher en l’air une journée, voire une soirée où vous aviez envie de vous lâcher. La tétée du bébé serait déjà, selon l’anthropologue Françoise Héritier, source de conflit de genre car les mères laissent téter les garçons plus longtemps que les filles. Si la viande est considérée comme un aliment viril, le sucre est l’apanage des filles, dit un livre paru en 1890, Les gourmandises de Charlotte, que Simone de Beauvoir a lu enfant et qui l’a convaincue que manger du sucre la rendrait petite et méchante, la gourmandise n’est-elle pas considérée comme l’un des sept péchés capitaux !

La gourmandise, une malédiction féminine

Chez les Grecs, Pandore, la première femme humaine de la mythologie, est « un ventre, un  estomac de chienne ». Son appétit sexuel et alimentaire menaçait de mener les hommes à leur ruine. Plus tard, Claude Lévi-Strauss pose « le mâle comme mangeur et la femme comme mangée », un amalgame très souvent utilisé entre copuler et manger. Ce qui pour les nonnes se traduira en huitième péché capital, gourmandises et bavardages excessifs. L’appétit qui vient en mangeant pourrait aussi venir en écrivant. Combien de scénaristes ou d’auteurs ont décrit à merveille des repas qui nous mettent en appétit rien qu’à les regarder sur grand écran ou à les lire, sans pour autant qu’ils aiment manger.

D’après les publicitaires, les femmes se sentent « sous-alimentées, physiquement et émotionnellement » d’où l’idée de compenser nos carences nutritionnelles par des soins au miel, des masques au lait et des crèmes à la banane… et des « mascaras à 2 000 calories pour les cils trop minces ».

Les cheffes ont fait leur apparition dès la fin du XIXe siècle, les livres de recettes sont souvent rédigés par des femmes, le gourmet se décline au masculin mais les gourmettes existent bel et bien. À côté des fructivores et des légumivores, viennent maintenant les denivores, des « Indomptables » comme Catherine de Sienne, ou la gourmandise imaginée dont souffrait Virginia Woolf. La question qu’il faut se poser maintenant, avant de se mettre à table : se sent-on plus humain après un bon repas ou le récit du repas suffit-il à croire que vous avez bien mangé ? Je vous laisse répondre et vous souhaite un bel appétit !

Vicky Sommet

« Mangeuses. Histoire de celles qui dévorent, savourent ou se privent à l’excès » de Lauren Malka (éditions Genre, 2023)

Écoutez notre podcast MANGER traitant du rapport des femmes à la nourriture. Existe-t-il une autre façon de manger que se priver ou dévorer ? Manger, c’est quoi : obligation ? contrainte ? plaisir ? gourmandise ? Lauren Malka* répond aux questions de Vicky Sommet, journaliste Mid&Plus.
*Journaliste, podcasteuse et auteure du livre « Mangeuses : histoire de celles qui dévorent, savourent ou se privent à l’excès » (Les Pérégrines, 2023).

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