Les ruptures investissent tous les domaines de la vie, séparations amoureuses, deuils ou départs pour des ailleurs. Béance, vide affectif, la philosophie, le roman ou le cinéma s’en emparent très régulièrement puisque de la naissance à notre vieillesse, notre vie est jalonnée de ruptures qui font vaciller nos certitudes.
Se trouver et se perdre
La rupture n’est jamais une coupure radicale mais une déchirure plus ou moins franche qui laisse des empreintes indélébiles. Elle nous fait rompre avec un milieu, une famille, nous incite à changer de corps ou de mental, comme si nous étions mutilés, déracinés, nostalgiques d’un passé qui ne nous convenait plus. Nous sommes responsables de ces ruptures comme des renaissances pour conclure que les échecs ne nous apprennent rien et que nous pourrions nous y replonger avec autant de volonté que nous avons déployée pour en sortir. Ce que nous avons décidé de vivre avec conviction, courage et détermination peut parfois devenir un carcan dont il est difficile de se défaire.
« Des choses éclatent ou nous font éclater, des boîtes trop petites pour leur contenu, les nourritures sont toxiques ou vénéneuses. » affirme le philosophe Gilles Deleuze.
La rupture amoureuse
Est-ce qu’on fuit l’autre ou soi-même ? Comme si un nouvel amour allait faire rempart pour combler un vide. Comme si les déclarations de désamour ne valaient pas mieux que les déclarations d’amour ! « Ta silhouette s’est perdue comme un petit détail dans le paysage » écrit Lou-Andréas Salomé à Rilke dans sa lettre de rupture. Ces lettres qui soulignent toujours les manques, les faiblesses et ce que l’on se cache à soi-même. Mais elles peuvent aussi démolir car c’est observer une histoire qui s’écrit sans nous, notre identité qui vacille et les voix qui meurent. La jachère amoureuse laisse des stigmates dont il est difficile de se défaire car elle affecte autant nous-mêmes qu’elle vide notre environnement. Jusqu’à ce que la douleur s’estompe, que l’absence devienne familière et que le « tu » s’évanouisse avec le temps.
Devenir soi
La rupture concerne aussi l’abandon de l’école, ses amitiés de jeunesse, ses amours adolescentes, pour un jour se construire et mettre à mort l’ancien monde. Pour Henri Michaux « On n’est peut-être pas fait pour un seul moi ». Nous vivons plusieurs vies dans une journée, nous sommes plusieurs personnages dans nos rêves la nuit et malgré ces dispersions, nous restons toujours le moi initial. Bergson pense qu’il est épuisant d’essayer de rester soi-même « Il est fatigant d’être une personne » « écrit-il. N’est-il pas préférable de vivre cinquante vies plutôt qu’une seule ? La difficulté réside dans le fait qu’être une bonne mère, une professionnelle aguerrie ou une collègue fiable exige beaucoup d’efforts.
Et il y a les accidents, les souffrances, qui donnent à notre corps de nouvelles habitudes « La création de soi par soi ». La rupture de la séparation quand l’enfant nait, l’éloignement de sa famille à l’âge adulte, la maladie d’Alzheimer qui distend les liens avec ses proches, il faut être capable de transformer ces ruptures pour « Donner une nouvelle configuration à des formes brisées » conseille Nietzsche.
Vicky Sommet
Rupture(s) – Claire Marin – Éditions de l’Observatoire.