Les écarts de patrimoine entre les femmes et les hommes vivant en couple ont quasiment doublé en 20 ans¹. Certes, les femmes ont gagné leur indépendance financière, elles travaillent et sont en moyenne plus diplômées que les hommes, pourtant elles perdent en terme de patrimoine lorsqu’elles se mettent en couple. Un mécanisme parfois très insidieux…
Les nombreux terreaux d’inégalité
Dans un essai rigoureux², deux sociologues montrent que les femmes sont systématiquement défavorisées face au capital. Cette étude très fouillée est d’autant plus intéressante que la catégorie « ménage » de l’INSEE ne met pas en évidence les inégalités de genre. C’est bien connu, les inégalités de salaires entre hommes et femmes persistent pour un niveau d’emploi équivalent. Les femmes choisissent souvent des métiers moins bien rémunérés (liés au care), se mettent plus souvent à temps partiel après la naissance des enfants, bref elles n’accumulent pas au long de leur vie autant de capital que leur conjoint. Pourtant elles travaillent davantage que les hommes, si on prend en compte le travail domestique (ce fameux déni de travail dont parle la sociologue Maud Simonet) et le travail rémunéré.
Toutes les femmes sont exposées
En ce qui concerne les patrimoines, on observe dans les milieux plus aisés, des inégalités qui se construisent de manière diffuse lors des héritages. Les familles concentrent souvent le capital sur l’ainé des garçons, elles distinguent les biens à protéger des « compensations » réservées aux femmes, ou encore adoptent une logique de prestations compensatoires (transferts monétaires) pour les femmes. L’exemple très médiatisé du divorce dans la famille Bezos (propriétaire d’Amazon) est révélateur³. L’épouse MacKenzie, bien que mariée sous le régime de la communauté des biens, a préféré céder à Jeff les ¾ des actions de l’entreprise qu’elle a fondée avec son mari et l’intégralité des droits de vote pour éviter un effondrement boursier. Certes, tout est relatif…
L’inégalité face aux accidents de la vie
Une famille sur 4 est monoparentale, dans la plupart des cas (82%) la mère élevant seule les enfants4. 22% des enfants qui vivent avec leur père sont pauvres, contre 46% de ceux qui vivent avec leur mère. Là encore, les séparations marquent une étape dans l’appauvrissement des femmes, mais d’après Titou Lecocq5, elles se contentent de mettre à jour une situation financière qui existait déjà du temps du couple et qui restait invisible. Les pères sont davantage propriétaires de leur logement. L’argent des hommes sert souvent à constituer le patrimoine alors que celui des femmes est invisibilisé car il passe dans les dépenses du quotidien comme les courses6. À ce facteur, on peut ajouter que les hommes sont moins souvent au chômage.
L’argent dans le couple reste un tabou, même si cela est moins le cas pour les jeunes. Mais il crée des enjeux relationnels à l’insu des partenaires qui peuvent miner une relation. L’idéal serait que l’argent soit au service du couple, pas seulement pour l’échange des biens, mais pour une reconnaissance mutuelle.
Michèle Robach
¹Passant de 9% en 1998 à 16% en 2015, source Marion Leturcq, Institut national des études démographiques.
² Le Genre du Capital : comment la famille reproduit les inégalités de Céline Bessière et Sibylle Gollac (La Découverte, 2020).
³Ibid.
4Journal LaCroix, 13 septembre 2021.
5Titou Lecoq, Pourquoi les hommes sont plus riches que les femmes (Éditions L’Iconoclaste).
6Delphine Leroy, L’argent du ménage, qui paie quoi ? (Éditions Armand Colin, 2006).