En 2020 sortait « La bonne épouse »¹, un charmant film, pas si caricatural que cela, racontant l’histoire de Paulette Van Der Beck, directrice d’une école ménagère ayant pour mission de former ses jeunes filles à devenir des femmes au foyer idéales. Est-ce la mort de son mari, le retour de son premier amour ou le vent de liberté de mai 68, Paulette va voir toutes ses certitudes vaciller. Et si la « bonne épouse » devenait enfin une femme libre…
Paru en juillet 2021, Les 7 piliers de la bonne épouse reste notre article Société
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« Papa lit le journal, maman fait la vaisselle ! »
C’est la loi de l’époque, se marier et être au service d’un homme. Aux orties seront jetés, lors d’une dernière scène finale ébouriffante du film, les 7 piliers² qui devaient faire des demoiselles-élèves « la bonne épouse », du pilier n°1 « La bonne épouse est avant tout la compagne de son mari, ce qui suppose oubli de soi, compréhension et bonne humeur », jusqu’au pilier n°7 qui imposait à la bonne épouse le devoir conjugal. Paulette, lorsqu’elle retrouvera André, finira d’ailleurs par trouver que le devoir conjugal n’est pas si laborieux que cela. Et les piliers seront réinventés : prendre sa vie en main, gagner soi-même son pain, disposer de son corps, être l’égale des hommes, ne plus être cocue ou battue…
« Bague au doigt, corde au cou… Mais qu’est-ce que tu racontes, Paulette ? Je t’aime. Je ne veux pas faire de toi mon esclave, je veux passer ma vie avec toi. »¹
« Une nouvelle ère » dans les relations hommes-femmes
J’ai toujours été féministe, sans doute grâce à ma mère, femme qui, malgré les nombreux empêchements de son parcours et de sa vie, avait suffisamment de caractère pour être déterminée, libre, indépendante et jamais victime, en tout cas… et bien sûr l’époque dans laquelle j’ai vécu, treize ans en mai 68. Ces événements (comme on disait alors) qui ont donné une impulsion décisive à la lutte pour l’émancipation féminine, ouvrant « une nouvelle ère » dans les relations hommes-femmes. « Avant mai 1968, on n’avait pas conscience de la domination masculine. Ce mouvement a rendu possible tout ce qui s’est passé après, notamment la création du MLF. »³ « La révolte contre l’autoritarisme » en mai 68 a été « un souffle de libération de la pensée, la sortie des carcans » dans une société « codifiée » où « le moule social était extrêmement fort »4 et dans lequel les femmes se sont engouffrées…
« Une nouvelle ère » où les femmes existent
Il faut dire qu’on revenait de loin : c’est seulement en 1965 que les femmes mariées avaient été autorisées par la loi à ouvrir un compte en banque en leur nom propre et à travailler sans l’aval de leur époux. Deux ans plus tard, la loi Neuwirth avait légalisé la contraception, mais il faudra attendre 1969 pour que les premiers décrets soient publiés. En 1967, il n’y avait que 2,2% de femmes à l’Assemblée nationale, soit 11 femmes sur 487 députés. « On a été à pas de géantes depuis 1968, ça a ouvert une nouvelle ère où les femmes existent. »³ Un long chemin a été parcouru depuis 68 et, même s’il a été parfois éprouvant, il me semble que majoritairement les femmes occidentales sont aujourd’hui libres de choisir et d’assumer leur destin. Les temps présents sont parfois inquiétants sur ces routes tortueuses qui veulent nous faire passer de la révolution féministe à la Terreur et cette tentation de la contre-révolution qui pourrait devenir un projet d’abolition de la différence des sexes.5
À la question « Suis-je féministe ? », Suzanne Lindon6, réalisatrice de 21 ans, répond : « Au féminisme, je préfère le terme humanisme. On a eu besoin de cris pour être entendues, mais il faut maintenant faire équipe ensemble, hommes femmes, pas les uns contre les autres. » Je n’aurais pas dit mieux !
Anne-Marie Chust
Première publication juillet 2021
¹La bonne épouse, film de Martin Provost (2020) avec Juliette Binoche, Yolande Moreau, Noémie Lvovsky et Edouard Baer.
³Françoise Picq, ancienne du MLF (Mouvement de libération de la femme).
4Michèle Idels, ancienne du MLF.
5Eugénie Bastié : Adieu Mademoiselle (Éditions Le Cerf).
6Suzanne Lindon : fille de Sandrine Kiberlain et Vincent Lindon, réalisatrice du film « 16 Printemps » (2021).
²LES SEPT PILIERS DE LA BONNE ÉPOUSE
N°1 : La bonne épouse est avant tout la compagne de son mari, ce qui suppose oubli de soi, compréhension et bonne humeur.
N°2 : Une véritable maîtresse de maison se doit d’accomplir ses tâches quotidiennes, cuisine, repassage, raccommodage, ménage, dans une abnégation totale et sans jamais se plaindre.
N°3 : Être femme au foyer, c’est savoir tenir ses comptes dans un souci d’économie constant, savoir évaluer sans caprice les besoins de chacun, sans jamais mettre en avant les siens. Vous êtes une trésorière, pas une dépensière.
N°4 : Être femme au foyer, c’est être la gardienne de l’hygiène corporelle et ménagère de toute la maisonnée.
N°5 : Première levée, dernière couchée, la bonne ménagère ne se laisse jamais aller, sa coquetterie, son amabilité, sa bonne tenue étant les garants de ce qu’on appelle « L’Esprit de famille ».
N°6 : La bonne ménagère s’interdit toute consommation d’alcool, se devant de toujours montrer l’exemple, surtout à ses enfants. En revanche, elle saura fermer les yeux et se montrer conciliante si son époux se laissait aller à ce mauvais penchant, ce qui arrive si souvent.
N°7 : Un dernier devoir est à la bonne épouse ce que le travail est à l’homme, parfois une joie, souvent une contrainte, je veux parler du devoir conjugal. Avec le temps et en y mettant un peu de soi-même, on franchira cette épreuve aussi pénible et ingrate soit-elle. L’expérience vous apprendra qu’il en va de la bonne santé physique et morale de toute la famille.