Michelle Obama est une femme exceptionnelle. Elle a surmonté son double handicap de couleur et de genre¹. Son dernier livre, The Light we carry², est un regard lucide sur sa propre carrière et donne les clés de cette prodigieuse histoire. Près de 400 pages, mais aucune en trop, les multiples anecdotes personnelles entretenant l’intérêt à tout instant. Il a été écrit après de multiples rencontres et tables rondes avec des jeunes femmes de plusieurs pays, dont des lectrices de ses Mémoires, Devenir³.
Tricoter
Ce manuel d’accomplissement s’ouvre sur « la vertu des petites choses ». Parmi elles, le tricot, pratiqué lors d’un moment de découragement au temps de la pandémie et du confinement, une « activité plus modeste que le sentiment d’impuissance qui m’oppressait. Quelque chose dans la répétition de ce geste minuscule et précis, et dans le doux cliquetis des aiguilles, détournait mon cerveau de ses préoccupations, l’emmenait sur une nouvelle route… d’où je voyais les choses avec plus de clarté… J’ai pensé à tout ce que mes parents avaient dû raccommoder, réparer, porter sur leurs épaules… Quand on tricote… la seule manière d’obtenir une réponse à ses interrogations, c’est une maille à la fois. Une maille et une autre, jusqu’à la fin du rang… Enfin, à force de patience, on entrevoit le résultat. Quelque chose prend forme… Peut-être avez-vous fait progresser les choses. »
Cohabiter avec sa peur
La seconde leçon porte sur « le décodage de la peur ». Il faut apprendre à cohabiter avec notre « cerveau peureux. Je lui ai accordé une citoyenneté pleine et entière… pour mieux le décoder. Au lieu de nier son existence, ou de m’épuiser dans un vain combat, j’ai appris à le connaitre aussi bien qu’il me connait. Cette simple démarche a desserré son emprise… Quand j’entends son boniment, quand les doutes s’amoncellent, je marque une pause et je regarde ma peur en face. Je me suis entrainée à prendre du recul et à m’adresser à lui comme à une vielle connaissance : « Je te vois, tu n’es pas un monstre à mes yeux. »
Être bienveillant
La troisième leçon est un hymne à une bienveillance se manifestant dès le premier regard lorsque l’on accueille. « Quand un enfant entre dans la pièce, qu’il soit le vôtre ou non, votre visage s’éclaire-t ’il ? C’est ce que l’enfant attend… À la Maison Blanche, les rencontres avec les enfants étaient l’un des meilleurs aspects de mes fonctions. Je les accueillais comme j’aurais accueilli mes filles… Je voulais leur montrer qu’ils comptaient, qu’ils avaient de la valeur. Le regard bienveillant, il faut, pour s’accomplir, être capable de le porter sur soi-même. »
Être en accord avec soi-même
La quatrième exigence est d’être en accord avec soi-même et de ne pas être atteint par les critiques. On fait avec ce qu’on a et on persévère « en dépit de… ». Dans la tête, Michèle se répète : « Je suis grande et c’est bien. Je suis une femme et c’est bien. Je suis noire et c’est bien. Je suis moi-même et c’est très bien. »
Valoriser sa table de cuisine
La cinquième, c’est la sociabilité. Dès son enfance, la future présidente l’a vécue autour de la « table de cuisine de l’appartement familial. La pièce minuscule, environ trois mètres sur trois, basse de plafond jouait un rôle d’aimant. Les voisins passaient pour dire bonjour, les cousins venaient manger, les copains dégingandés de mon grand frère demandaient conseil à mon père et ma mère distribuait des sandwichs au beurre de cacahuète et à la confiture à mes amies, me laissant jouer aux osselets par terre… J’ai baptisé mon cercle de proches ma « Table de Cuisine » les gens extérieurs à ma famille en qui j’ai confiance, sur qui je peux compter et dont la compagnie m’enchante. Ma « Table de Cuisine » n’est pas fixe. Les amis vont et viennent, en fonction des moments de la vie. Le principal est la qualité de la relation… Votre Table de Cuisine est votre refuge, un havre à l’écart de la tempête. »
Être bien accompagné
« Entretenir des relations matures s’apprend sur le tas. On tâtonne, on se cherche et, peu à peu, on comprend qui on est et ce dont on a besoin. L’engagement pris est sans cesse renouvelé si l’on choisit de rester, c’est-à-dire de faire des concessions, d’accepter l’alternance entre le merveilleux et l’insupportable. Les deux personnes font des compromis tour à tour, aménagent des espaces intermédiaires de manière que chacun s’y sente chez soi. Elles apprennent que l’autre ne peut résoudre vos problèmes ni combler vos manques. Avec Barack, ni ruses, ni stratagèmes romantiques, mais un mélange de franchise et de certitude : « Voici l’intérêt que je te porte, le respect que j’ai pour toi… je propose qu’on parte de là et qu’on voie où ça nous mène. »
Savoir éduquer les enfants, selon la mère de Michelle Obama
Mariam Robinson, à 71 ans, a accepté d’emménager à la Maison Blanche afin de s’occuper de ses deux petites filles, sept et dix ans. La célébrité ne l’intéressait aucunement. La Maison Blanche ressemblait trop à un musée à son goût et pas assez à un foyer. Son installation serait provisoire mais « ce sera moi qui m’occuperai des petites ». Quand elle ne s’occupait pas des filles, elle restait à l’écart. « Pour ma mère, tous les enfants sont extraordinaires et ses maximes étaient nombreuses :
♦ « Apprenez à vos enfants à se lever seuls ». Dès cinq ans, Michelle munie d’ un petit réveil électrique et d’instructions maternelles, dût se débrouiller, petit-déjeuner compris. Elle adora ce réveil et ce qu’il lui offrait : une forme de contrôle de sa petite vie. « Si je trainais des pieds, ma mère ne s’en mêlait pas. »
♦ « C’est leur vie ». Un bon parent s’efforce de se rendre superflu . « Ma mère ne cachait pas qu’elle espérait qu’on se passerait bientôt d’elle, en particulier pour les petites corvées quotidiennes. Sa question était « comment aider mes enfants en m’en tenant au strict minimum ? Ne pas entraver leurs progrès en faisant les choses à leur place. Il faut laisser les enfants se tromper et ne pas en faire tout un pataquès. Ne pas faire semblant d’avoir toutes les réponses, ce n’est pas grave de dire je ne sais pas. »
♦ « Savoir ce qui est réellement précieux ». Pas de bibelots précieux.
♦ « Élevez l’enfant que vous avez ». Se détourner des manuels et des maîtres à penser pour écouter son instinct… et garder son calme. « Votre enfant deviendra la personne qu’il était en puissance. Vous aurez prise sur certains aspects de sa vie mais pas sur tous. Vous ne le protégerez pas de tous les malheurs. Ce que vous pouvez donner, c’est un espace où il se sent compris et entendu… et la certitude que vous serez toujours heureux de le voir.»
♦ « Rentre à la maison. Ici, on t’aimera toujours ». Créer un espace où résonne la joie, pour nous et nos proches, un lieu où l’on voudra toujours revenir. Peut-être vous faudra-t-il réviser votre conception de ce qui constitue un chez soi, raviver une flamme qui a été étouffée tout le long de votre enfance ? »
Ne baissez pas les bras, poursuivez vos efforts
« Une injustice pour ceux qui sont marginalisés à qui on demande toujours trop. Il y aura des déceptions. Il y aura des moments où vous aurez envie de vous arrêter. Une fois l’effort accompli, les compétences acquises le seront pour toujours. On ne vous les enlèvera pas et vous pourrez vous en resservir à l’infini. […] Ne pas écouter ceux qui vous disent : tu n’es pas digne de ce que tu as, tu as coché les bonnes cases. Une humoriste américaine, d’origine asiatique et enceinte renverse la perspective : « Je suis une femme et la plupart des comédiens sont des hommes. Les humoristes hommes ne peuvent pas tomber enceints, jouer enceints. Donc, je vais me servir de toutes ces différences. […] Accueillir la vérité de quelqu’un avec bienveillance. Gardez les secrets, résistez aux ragots. Nous sommes seuls mais pas isolés. »
Revêtir une petite armure au travail
« À quel point dois-je faire profil bas ou au contraire m’affirmer, être moi-même ? Au travail, laissez vos vulnérabilités à l’entrée et maintenez certaines frontières. Une armure est indispensable mais elle peut nuire. Lorsqu’on se cache derrière un masque, on finit par se couper de soi-même. […] À la Maison Blanche, ne pas respecter toutes les traditions dénotait un soupçon d’insolence. Et n’importe quel Noir connait les dangers qu’il encourt à être taxé d’insolence. Il fallait que je fasse confiance à mon intuition, que je me souvienne de qui j’étais, en évitant de me rigidifier à force de me censurer. Faire la navette entre la prudence et l’audace. »
S’élever
« Devise facile à retenir et à répéter, à imprimer sur une casquette, mais comment ? Où trouver l’énergie pour se battre ? En prenant cette abstraction et en la convertissant en un plan concret, en la passant de l’état brut à une solution plus large. Si vous ne faites pas quelque chose de constructif, les déceptions vous entraineront droit dans le fossé. […] S’élever consiste à faire ce qu’il faut pour que vos efforts comptent et que votre voix soit entendue. C’est le travail d’une vie, d’une génération entière. […] S’élever est un engagement qu’on prend. Cela ne marche que si l’on fait le boulot. […] Parfois s’élever suppose d’accepter d’agir dans un certain cadre, de passer des compromis et de faire la différence entre le spontané et le déplacé, entre la créativité et l’insubordination. Cela implique préparation et adaptabilité. »
« Nous élèverons ce monde écorché vers un monde émerveillé. »
Pierre-Yves Cossé
¹Née dans une famille pauvre d’un quartier populaire de Chicago, la petite fille noire fait des études brillantes, est admise dans une des plus grandes écoles des États-Unis (Harvard Law School) entre dans un grand cabinet d’avocats, tout en s’engageant auprès de la municipalité démocrate et dans des associations caritatives. Épouse de Barack, séduit par sa beauté, son intelligence, son caractère et ses engagements, elle est la première First Lady noire de l’histoire des États-Unis, elle se révèle comme oratrice, et assume sa tâche sans renoncer à sa personnalité. Après huit ans passés à la Maison Blanche, cette mère de deux filles continue d’être active : elle écrit ses mémoires et plusieurs essais, donne des conférences, est actrice et manage des fondations.
²Cette lumière en nous : s’accomplir en des temps incertains (paru en Poche novembre 2023 – chez Flammarion en 2022).
³Devenir paru chez Fayard en 2018, existe en format Poche.