En cours de récré, réunion de rédaction, voire à la pause-café, qui de nous n’a pas un jour utilisé le qualificatif d’autiste de manière péjorative ? Or, en lisant « Celle qui souriait trop pour être autiste » j’ai découvert, comme un plongeur explore un iceberg, l’ampleur du vécu au quotidien d’un.e autiste.
Un long chemin vers le diagnostic
« J’étais une petite vieille, enfant » dit-elle avec lucidité. « Je corrigeais ma grand-mère quand elle me parlait bébé. Et je m’interrogeais déjà de savoir si tous les humains voyaient les mêmes couleurs en regardant une chose identique qui peut être rouge pour l’un, vert pour l’autre ». Sylvie Sandeau a eu la chance d’avoir des parents aimants, aidants, de véritables amis avec ses chats et un mari actuel compréhensif, y compris lors du diagnostic. Être femme et autiste est déjà un challenge diagnostique puisque le corps médical invisibilise ses patientes tout comme le grand public. Il a fallu à Sylvie Sandeau plus de 50 années pour qu’elle arrive d’abord à s’auto-diagnostiquer, puis soit enfin reconnue comme F84.5 (le nom de code médical pour Asperger) par un psychiatre plein d’humanité et de lucidité, après avoir essuyé des remarques désolantes.
« Mais vous êtes juste un Zèbre ! Vous souriez trop pour être autiste. »
Vivre dans un monde en chaos
Son parcours de recherche de vérité mériterait d’être enseigné en cours de médecine ; d’ailleurs en chemin elle est devenue une patiente experte, capable de réaliser l’éducation thérapeutique des soignants. À la décharge de ceux-ci, les mille et unes nuances du spectre des troubles de l’autisme. Son intelligence et ses capacités d’adaptation d’Asperger ont masqué tout ce qui a compliqué sa vie dans un monde créé et conçu pour des neurotypiques. Le brouhaha d’un hall de gare, d’un aéroport qui l’angoisse, la sonnerie du téléphone qui la fait sursauter, les méandres d’une ville où elle sait que, malgré le GPS, elle se perdra par un défaut de cohérence centrale – l’autiste prend ce que vous lui dites au pied de la lettre, si c’est à droite, c’est là tout de suite, sans une vue en perspective qui synthétise toutes les infos.
Un handicap invisible
Sa perception du monde est une multitude de détails, traités à égalité, une vision fragmentée, en kaléidoscope. Dans un même environnement, l’autiste et le neurotypique ne sont vraiment pas à égalité. « Compte-tenu du spectre autistique, le terme de handicap reste pertinent, même si l’autisme peut être un atout, voire un plaisir quand je suis dans ma bulle, seule, avec de la musique et mes chats ! ». Mais pour encore trop de personnes atteintes de TSA, la vulnérabilité est entière, au travail avec des pertes d’emploi et dans le cadre des relations, puisque les femmes autistes sont beaucoup plus à risque d’être agressées, n’identifiant pas la lubricité de leurs interlocuteurs, voire pouvant, par leur comportement trop direct, donner l’impression de faire des avances, qui n’en sont pas.
Beaucoup d’idées reçues sont battues en brèche au fil des pages de l’ouvrage de Sylvie Sandeau. C’est réconfortant de voir les TSA faire preuve d’empathie entre eux, en développant la pair-aidance dans des GEM Autisme*. Reste à la majorité des neurotypiques que nous sommes à apprendre à mieux connaître les TSA, pour mieux les comprendre et vivre harmonieusement ensemble, dans le respect de la richesse de nos différences. Offrez-vous le plaisir de lire « Celle qui souriait trop pour être autiste », vous y gagnerez en humanité !
Anne-Claire Gagnon
Celle qui souriait trop pour être autiste de Sylvie Sandeau (Editions Tchou, 2022)
* Groupe d’Entraide Mutuelle Autisme