Elles nous habitent, nous accompagnent tout au long de notre vie et sont comme les témoins de notre histoire personnelle, de l’enfance à aujourd’hui, inscrites sur notre corps, ce que Danièle Brun, psychanalyste, appelle le corps familial.
Des marques indélébiles
Notre chair garde les blessures, les épreuves du temps, inscrites dans notre derme. Et l’histoire qui se noue entre notre corps, celui que la naissance nous a donné et celui qui s’est transformé au fil du temps, raconte avec ces empreintes un autre mode d’expression que la parole ou le sentiment. Le corps est inséparable de la famille depuis le jour où le bébé arrive au monde et que les mains de ses proches, parents, grands-parents ou fratrie, le connectent par ses cinq sens aux caresses, au bercement ou aux récits racontés au moment du coucher. Chaque génération a ainsi un corps familial, auquel s’ajoutent les petites cicatrices glanées ici ou là, sur les genoux, les doigts, les oreilles, qui agissent comme les archives de notre vécu et qui résistent souvent à l‘effacement du temps.
Une présence discrète
Nelson Mandela disait « Nos cicatrices nous rappellent d’où on vient… ». Et Danièle Brun de compléter en écrivant « On peut éprouver une certaine tendresse pour ces histoires sans paroles que le corps engrange sous forme de cicatrices et qui ont une valeur analogue à des souvenirs-écrans … ». On ne se blesserait pas sans raison ; désobéissance aux injonctions parentales, changements de situation familiale, nouvelle arrivée d’un frère ou d’une sœur, déménagement plus ou moins bien vécu, comme si les cicatrices jalonnaient notre parcours identitaire et nous permettaient, même longtemps après, de savoir quelle était notre place au sein de la famille. « Un peu comme dans les séries ou dans les polars, les cicatrices participent comme l’ADN, à la recherche d’indices et à un processus d’identification de la personne » analyse Danièle Brun qui ajoute que les empreintes du corps renferment en elles « les racines corporelles de la pensée ».
Le rapport au manque
On ne se déplace pas sans son corps, on ne parle pas de soi sans lui donner la place qui est la sienne, bref, nous faisons corps avec notre corps. Il sait tout de nous, de l’essence des premiers liens, des premières paroles, des affects exprimés. Le corps est à la fois mémorial et mémoire. « Le corps est un terrain privilégié d’écriture pour le corps familial qui se décrypte tout au long de l’existence », surtout si l’on cherche à comprendre ses failles, ses souffrances secrètes et ses manques affectifs. La famille n’est pas sans défauts et les blancs du corps, là où les souvenirs n’existent pas, expriment une forme d’hibernation. À chacun d’enfiler ses habits d’archéologue et d’interroger la mémoire de ses cicatrices pour découvrir ce qu’elles disent de nous… au passé comme au présent.
Vicky Sommet
L’empreinte du corps familial – Danièle Brun – Éditions Odile Jacob.