Pourquoi notre œil est-il attiré par une œuvre picturale plutôt que par une autre ? Selon notre état d’âme, notre culture, notre regard du moment sur elle, sa lecture peut s’accompagner d’une émotion spécifique et intime. Les rédactrices de Mid&plus dévoilent ici les représentations artistiques qui leur ont piqué le cœur et l’esprit.
♦ « Fun during coffee break » (1932) de Martin Munkácsi
par Christine Fleurot
Cette photo noir et blanc signée Martin Munkácsi (1896-1963) s’est imprimée dans ma rétine en 1980 lors d’une expérience professionnelle au magazine Vogue Hommes. Depuis, ce tirage-travail épinglé alors dans mon bureau me suit dans tous mes déménagements. Fun during coffee break ressuscita au cours d’un voyage à Budapest où une exposition était consacrée à ce photographe hongrois qui révolutionna la photo féminine, libérant le corps des mannequins et des sportives. Ce simple moment de couple plein de spontanéité, la vitalité de ce cliché invitent à la joie, la bonne humeur, à reprendre un café pour booster sa journée et au-delà réveille en moi la nostalgie du temps béni de la légèreté.
♦ « Fenêtre ouverte à Collioure » d’Henri Matisse
par Brigitte Leprince
Comme Henri Matisse, je suis née au Nord, comme lui je suis attirée par la couleur du Sud, comme lui j’aime les bateaux, la mer et les fenêtres qui ouvrent sur le monde. « Fenêtre ouverte à Collioure » réalisé en 1905 et exposé pour la première fois lors d’un salon chez le photographe Nadar a permis à son auteur de devenir le chef de file du « fauvisme ». Ses couleurs audacieuses ont choqué le public, mais ce sont justement ces couleurs qui me procurent une joie immense. La composition du tableau m’émerveille, me met de bonne humeur et me rend joyeuse. Le thème est une ouverture sur le monde et l’infini de la mer fait surgir tous les rêves. Un pur bonheur.
♦ « Nature morte avec pastèques et pommes » (1771) de Luis Eugenio Meléndez (1716-1780)
par Vicky Sommet
C’est un peintre que j’admire, tant la précision de son pinceau restitue avec talent la nature, la réalité et le velouté des fruits. Chantre des natures mortes, une quarantaine de toiles de Meléndez destinées au cabinet d’histoire du prince des Asturies, futur roi d’Espagne, ont décoré d’abord son palais de Madrid puis sa maison de campagne avant de se retrouver au Musée du Prado. Je l’ai revue au Louvre récemment et elle m’a encore mise en appétit avec la chair aqueuse des pastèques, les gouttes juteuses et les pépins noirs luisants. Ce tableau représente à la fois le printemps avec la fraîcheur des pastèques, l’automne avec les pommes vertes et rouges, le tout illuminé par un soleil blanc qui a percé à travers les nuages du paysage qui annoncent l’hiver.
♦ « Cerisiers en Fleurs » de Damien Hirst
par Michèle Robach
En 2021, la Fondation Cartier exposait une cerisaie en fleurs aux couleurs explosives de l’artiste britannique Damien Hirst. Une célébration à la vie, un véritable jaillissement de couleurs. L’artiste a revisité la technique pointilliste pour faire de sa peinture des bourgeons prêts à éclore. Sur d’immenses toiles, il nous plonge dans une forêt de cerisiers géants, ces arbres légendaires dont les Japonais célèbrent inlassablement chaque année la beauté irréelle. Il faut se laisser envouter, voyager au pays des sakuras en se perdant parmi les toiles. Chaque touche est réalisée par une couche si épaisse de gouache que l’on se demande si elle ne va pas se fissurer avec le temps, comme ces pétales de fleurs qui se fanent, personnifications de l’éphémère, passage éclair sur terre. Une invitation à profiter du monde avant qu’il ne s’effondre ?
♦ « Tristan’s Ascension » (2005) de Bill Viola
par Marie-Blanche Camps
Pendant une dizaine de minutes, on voit sur l’écran, dans un espace vide et noir, un homme vêtu de blanc, allongé, inanimé. On entend les gouttes qui apparaissent : elles ne tombent pas, elles s’élèvent, puis deviennent pluie, cascade, torrent. La puissance de l’eau finit par soulever le corps de l’homme, dans une ascension lente. Le débit de l’eau diminue et s’arrête, dans le même espace vide et noir… L’installation vidéo monumentale (5,8 sur 1,32 mètres) de l’artiste américain Bill Viola nous happe et nous entraîne dans le moment présent. L’émotion est intense. Le monde extérieur n’existe plus. Tristan’s Ascension est un tableau en mouvement qui nous offre une méditation sur la vie et sur la présence de la mort au coeur de notre vie.
♦ « Made in Normandy » de David Hockney
par Anne-Marie Chust
Depuis qu’il est tombé amoureux de la Normandie, l’inspiration ne quitte pas David Hockney. Paysages printaniers, arbres fruitiers, douceur du ciel…, l’artiste a toujours été influencé par les changements de saison et la poésie des environnements naturels, à l’image des œuvres qu’il a peintes dans son Yorkshire natal. On y retrouve son admiration pour Rembrandt et Van Gogh, mais aussi la tapisserie de Bayeux qui le fascine. Panorama de son quotidien, cette série format XXL de peintures et de dessins « A year in Normandy » dépeint une atmosphère paisible qu’il partage avec ceux qui regardent ses œuvres. Et le charme opère ! J’aimerais être une pomme normande…
♦ « La Petite Châtelaine » de Camille Claudel (1895-1896)
par Agnès Brunel-Averseng
Notre première rencontre ? Lors de l’inauguration de la Piscine de Roubaix. Depuis, elle jalonne mon chemin, au Musée Rodin, au Musée Camille Claudel à Nogent-sur-Seine. Peut-être, un jour, en verrai-je le bronze à Mexico (mais je préfère les marbres) ! Le buste de la jeune Marguerite Boyer, la Petite Châtelaine de six ans, toujours la même, mais toujours différente, marque le tournant dans le travail de Camille, son affranchissement de Rodin, son indépendance. Camille écrit à son frère : « Tu vois, ce n’est plus du tout Rodin ! » Ses visages d’enfants innocents, sensibles, contrastent tellement avec le reste de son œuvre magistrale, nerveuse, tourmentée. Sa part d’innocence ?
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