Numéro Une, sorti en salle hier, est une fiction dont on rêve toutes qu’elle devienne une réalité : l’accès d’une femme aux commandes d’une entreprise du CAC 40, le nouvel Everest, pour ouvrir d’autres voies. Un film de Tonie Marshall, dont on sort transformée, prête à accepter de prendre des responsabilités, y compris au sommet.
Un appel à une mixité fraternelle
Certes face à l’éternité, l’exercice du pouvoir pour le pouvoir est vain, mais, comme l’a démontré Cléopâtre, l’accès d’une femme aux plus hautes fonctions de l’Etat, donc aux décisions, voilà qui peut changer la face du monde. Car les femmes ne raisonnent pas comme les hommes, nous sommes naturellement différentes et complémentaires les unes de nos alter ego masculins. Le concept même du pouvoir érigé en valeur n’est pas vraiment féminin. Comme le dit si justement l’héroïne, Emmanuelle Devos, ce qu’elle veut c’est être utile, comme chacune d’entre nous. Elle campe une X Mines très crédible dans ce film militant et politique, servi par de très belles images de Tonie Marshall qui signe un véritable manifeste pour appeler à changer ce monde.
Être à leur égal
Clin d’œil de la vie, la réalisatrice n’a pas son Bac, l’actrice principale n’a pas été première de sa classe, mais l’une comme l’autre ont compris et rencontré des dirigeantes comme Anne Lauvergeon, Laurence Parisot, etc., des associations comme Force Femmes et ont noué un partenariat fraternel avec Coca-Cola, dont la politique en faveur des femmes est une réalité réconfortante.
C’est auprès de toutes ces femmes qu’Emmanuelle Devos a appris les dress codes et la démarche, cette façon de faire oublier qu’on est une femme pour gravir les échelons de postes conçus par et pour des hommes. Beaucoup de dialogues sont authentiques, jusqu’aux plus crus pour ses collègues masculins. Tonie Marshall et son équipe ont réalisé un remarquable travail d’investigation pour la construction du scenario. La seule fiction du film est le réseau féminin qui décide de porter au sommet l’héroïne, puisqu’à ce niveau les réseaux d’influence sont toujours aux mains des hommes, magnifiquement joués par Richard Berry et Benjamin Biolay, glaçants de justesse.
La mer est le fil rouge du film avec une scène inouïe, sur une plate-forme éolienne où les intempéries immobilisent l’héroïne et ses clients chinois – à qui elle chante au dîner, dans un chinois parfait, une comptine apprise de sa mère quand elle était enfant. Puis elle regagne la cabine des filles, subissant au quotidien les mêmes insultes et harcèlements qu’elle. Polyglotte, cultivée, femme de dossiers et bosseuse, Emmanuelle agace ses homologues masculins par ses qualités – une femme surdimensionnée et sous-valorisée, à qui son patron ose proposer pour toute promotion de s’occuper… de la parité hommes/femmes dans l’entreprise.
Manager, une fonction à ne pas refuser
Pourquoi demande-t-on aux femmes dirigeantes leur secret pour conjuguer le poste de manager et de maman ? Alors que jamais on n’interroge un patron sur ses qualités de papa ?! On le loue pour son plan social là où une femme deviendra illico une Dame de fer. On demande à un patron ses chiffres de réussite, jamais comment il trouve le temps d’emmener ses enfants à l’école… L’occasion d’une scène magnifique dans Numéro Une entre Emmanuelle et sa fille. « À quand le congé paternité obligatoire ? » a demandé Tonie Marshall lors d’une pré-projection, soulignant que les trentenaires qu’elle rencontre sont bien plus déterminées qu’elle en matière de féminisme.
« – Il vous faudra plus qu’une campagne de soutien et un peu de presse si vous voulez gagner cette bataille.
– Des compétences peut-être ? »
Le calme et la détermination tranquille d’Emmanuelle Devos dans son ascension professionnelle est une des leçons du film. Avancer jusqu’en haut de la hiérarchie pour être utile, pour changer le monde en le formatant autrement, pour nos enfants. Sans sacrifier l’essentiel, l’éthique et l’amour, et un brin de poésie. Avec Numéro Une, nous sommes à bonne école, alors n’hésitons pas, allons-y !
Anne-Claire Gagnon
Mid&Flandres