Isabelle de Maison Rouge, témoin et actrice de la mutation du marché de l’art contemporain, a accordé un entretien à Mid&Plus. Quel sera son futur visage après cette année de pandémie ? Quelles sont les nouvelles alternatives créatives qui se dessinent entre galerie-artiste-public ?
Portes fermées, salons et foires annulés… Comment les galéristes ont-ils réagi et résisté à cette situation inédite ?
En effet, tous les calendriers d’exposition ont été complètement bouleversés. Les galeries d’art souffrent de la crise plus que jamais, mais cela ne date pas seulement de la pandémie. Elles sont vraiment mises à mal dans leur métier, entre les attentats, les gilets jaunes, les grèves, le coronavirus, les annulations de foires, le peu de ventes réalisées malgré l’enthousiasme de la réouverture et voilà qu’à nouveau la deuxième vague les relègue dans les commerces qui ne sont pas considérés de première nécessité… Le marché de l’art souffre, les artistes ainsi que tous les acteurs de ce monde professionnel. Lors du premier confinement, il y eut un état de sidération et peu ont réussi à réagir. Pour cette nouvelle période de fermeture imposée, les galeries se sont organisées en créant des événements virtuels comme des expositions en ligne, des vidéos permettant de visiter les expositions, des interviews de leurs artistes, elles ont sollicité leurs fichiers de collectionneurs en proposant des rendez-vous individuels et des catalogues numériques, en offrant la possibilité de leur livrer directement les œuvres acquises, des call and collect.
Les artistes confirmés ont été « protégés » par leurs galeries et des collectionneurs mécènes. Qu’est-il advenu des jeunes artistes émergents en cette période de confinement ?
Cette crise, à la fois sanitaire, économique et même culturelle nous force à nous adapter. Les artistes agissent en travailleurs indépendants aussi sont-ils très habitués à la précarité. En particulier, ils sont toujours capables de rebondir et trouver des solutions. Ils savent également s’adapter aux temps de crise et trouver des ressources en eux soit pour faire le gros dos en attendant des jours meilleurs, soit en se réinventant et trouver d’autres voies. C’est une grande capacité qui fait à la fois leur force et leur faiblesse. Sans doute ce basculement soudain et ce retournement de sens va permettre justement un retour du sens : le bling-bling, j’espère, va laisser la place à une réflexion plus en profondeur dans ce milieu. Les artistes n’hésitent pas à utiliser le numérique, ils ont compris que les ventes peuvent parfaitement se faire sur les réseaux sociaux et développer des contacts intéressants, ils se font accompagner par des professionnels tels les critiques d’art ou les curators qui donnent de la valeur immatérielle à leurs œuvres et permettent à un public plus vaste d’y avoir accès.
Pendant cette période compliquée, vous avez initié avec d’autres professionnels un bel élan de solidarité, Les Amis des Artistes. Pouvez-vous nous en parler ?
Dès le début du confinement en mars, j’ai voulu lancer une action solidaire en faveur des artistes et nous avons créé le collectif « Les Amis des Artistes » (LADA). Nous avons mis au point un système très simple et transparent d’un cercle vertueux. Les prix des œuvres sont fixés par les artistes, en concertation avec les galeristes ou agents. Tout se passe sur Instagram. Sur son compte, l’artiste poste 3 créations (dont une à moins de €500) et par le jeu des # les pièces apparaissent sur le fil de notre Instagram #lesamisdesartistes. Pour rendre une vente effective, l’acheteur prend contact directement avec l’artiste, lui verse 70 % du montant du prix annoncé et adresse les 30% restants vers la cagnotte organisée par LADA. Pour cette dernière campagne, les sommes collectées ont été allouées à l’Association des Amis du National Museum of Women (NMWA), pour soutenir les initiatives du projet Urgence Artistes Femmes (UAF).
Au regard de cette capacité de résilience, les relations entre galerie-artiste-public vont-elles changer ?
Je pense, et j’espère, que les comportements vont changer avec moins de foires et de vernissages « people », mais des rencontres et rendez-vous plus personnels qui mèneront vers des liens plus vrais et intéressants, recentrant nos pratiques sur le soin, l’attention et la réparation, ainsi que le soutien et la solidarité envers les plus vulnérables.
Christine Fleurot
* Isabelle de Maison Rouge – Historienne de l’art – Critique d’art – Secrétaire générale d’AICA France – Commissaire d’exposition – Membre de CEA.
L’actualité d’Isabelle de Maison Rouge
– Son activité du moment : un cycle de conférences pour Les Dits de l’art (en ligne) et un livre sur le Street art à paraître (mai 2021).
– Son exposition conseillée : Horizon de Jean-Baptiste Boyer à la Galerie Laure Roynette
– Son coup de cœur artistique : Rachel Labastie