Dans l’imaginaire collectif, le militaire véhicule tous les stéréotypes de l’identité masculine (machisme, force, brutalité..). Pourtant les armées des États comptent de plus en plus de femmes dans leur rang. Alors la guerre, une affaire de femmes ?
Féminisation et répartition des rôles
Ces dernières années, les femmes ont intégré, de manière significative, les rangs de l’armée. Avec un taux de féminisation de 15,5%, la France se situe au 4e rang mondial, derrière Israël, la Hongrie et les États-Unis. Toutefois, la disparité est forte selon les métiers. On compte seulement 10% de femmes dans l’armée de terre, 14% dans la marine, 23% dans l’armée de l’air, mais 58% au service de santé. Même affectées à des unités combattantes, elles occupent principalement des emplois de soutien, de logistique. C’est ce que Françoise Héritier appelle la « valence différentielle des sexes »¹. Les compétences des femmes ne sont pas mises en cause. Mais, envisagées comme spécifiquement féminines (sens de l’organisation, rigueur, compassion, souci des autres, etc.), elles sont mobilisées dans l’assignation à un rôle lui aussi spécifique dans l’organisation militaire : elles font de « bonnes secrétaires », de « bonnes infirmières » de « bonnes ressources en logistique ». La discrimination s’exerce également au niveau horizontal, seuls 7,8% des femmes sont officiers en France. Mais le monde change.
Les femmes ukrainiennes, modèles et respect
La couverture médiatique les montre sur le chemin de l’exil avec enfants, mais cette vue est partielle. Depuis la brève et violente révolution de Maïdan en 2014, où des manifestations massives contre la mainmise de la Russie et la corruption ont défié le pouvoir, les femmes ont rallié le combat pour la liberté avec un sentiment nouveau pour leur pays. Et même s’il existe un clivage genré très fort lié à l’héritage soviétique, elles ont bousculé le domaine militaire au point de représenter 23% de l’effectif militaire, 15 fois plus qu’en 2008 avec la moitié des postes sur le front. Maria Berlinska, conductrice de drones, dont le nom de code au sein de l’armée est Marie Curie, se bat depuis 2015 pour l’intégration des femmes dans l’armée. Elle est cofondatrice de l’ONG Women’s Veteran Movement. Grâce à l’étude qu’elle a entreprise en 2015, « Le bataillon invisible »², le rôle des femmes combattantes a été mis en lumière et la liste de leurs métiers au sein de l’armée a été profondément révisée.
Le regard des femmes sur la guerre
« Avec des photos tu peux secouer et réveiller » déclare Françoise Demulfer, l’une des reporters exposées au Musée de la Libération³. Par leurs images, elles confrontent le public à la violence, la sauvagerie, la mort dans des approches parfois brutales ou plus esthétiques. Certaines ont laissé leur vie sur les champs de bataille comme Gerda Taro4 et Anja Niedringhaus5. Elles rompent avec le statut de victime généralement rattaché aux femmes en temps de guerre et les présentent en combattantes courageuses. Elles braquent leurs objectifs sur les opérations militaires et sur les répercussions sur les civils et manifestent une sensibilité différente de celle de leurs collègues masculins en s’identifiant plus facilement avec leurs soeurs éprouvées par la guerre dans les régions en crise. Colère, consternation, empathie, ces témoignages nous interrogent : comment empêcher de nos jours une telle souffrance ?
Cette question du rapport des femmes aux conflits armés a été délaissée dans les creux des histoires de guerre. Elles sont désormais des sujets plus présents.
Michèle Robach
¹« Le sang du guerrier et le sang des femmes », article paru dans les cahiers du GRIF, 1984.
²Le bataillon invisible
³Huit photographes sont mises à l’honneur au musée de la Libération à Paris, du 8 mars au 31 décembre 2022.
41910-1937, engagée aux côtés des Républicains pendant la guerre espagnole, elle est la première femme à trouver la mort au cours d’une mission.
51965-2014, abattue le 4 avril 2014 lors des élections présidentielles afghanes.