Deux livres à lire, à offrir, à conseiller… écrits par des hommes ! Un roman viril venu du froid, belle fable morale et un récit tout en finesse et en sensibilité narrant les relations d’un duo mère-fils.
- L’archipel d’une autre vie d’Andreï Makine (Seuil, 288 pages, €18)
Andreï Makine, d’origine russe, grand francophile qui a prouvé maintes fois son attachement à notre langue à travers son œuvre littéraire est depuis 1996 citoyen français. Élu à l’Académie française, il sera reçu sous la Coupole le 15 décembre prochain. Avec son dernier livre L’Archipel d’une autre vie, retour à son pays d’origine et plus particulièrement au bout du bout de la Sibérie orientale.
En 1952, sous Staline, en pleine guerre froide, un bataillon de cinq soldats russes (et un chien) a pour mission de retrouver et de ramener vivant un prisonnier échappé d’un camp d’internement. La traque martiale commence dans un contexte climatique et géographique piégeux. Le fugitif est à portée de main… mais très habile dans cette nature intacte et hostile, il affaiblit ses poursuivants déjà fragilisés par des querelles de pouvoir et des décisions hasardeuses. Au final, seul le jeune Pavel Gartsev poursuivra cette chasse à l’homme et découvrira sa véritable identité. Rencontre qui bouleversera le reste de sa vie.
« La carte sur l’écorce du bouleau, certes très sommaire, indiquait le plus important : les tournants du parcours et la longueur des étapes. Je mangeais peu, ne faisais pas de halte et, le matin, reprenais la route dès la première lueur du jour. La taïga se refermait derrière moi, tel le rideau retombant sur une vie définitivement close. »
Roman d’aventure, d’exploration, d’initiation mais aussi d’amour, ce livre offre de multiples angles de lecture. Une sorte de western (Eastern !) philosophique haletant et émouvant qui emporte le lecteur de la rudesse de la taïga à l’inhospitalité de l’Archipel des Chantars battu par les vents. Hymne aussi à la nature, coup de semonce écologique, Makine nous rappelle aussi à travers cette course-poursuite que « L’homme ne devrait pas oublier qu’il n’est qu’un pauvre locataire de la Terre ».
Christine Fleurot
- Continuer de Laurent Mauvignier (Éditions de Minuit, 239 pages, €17)
C’est le roman de toutes les mères et de leurs ados. Celui-là conte l’histoire d’une femme et de son fils, un divorce, un père absent, une mère en perte de vitesse, un ado au milieu qui décroche, la violence verbale, l’agressivité, la communication impossible et la délinquance au pas de la porte… Qui d’entre nous n’a pas vécu, divorcée ou non, ce moment délicat de l’adolescence, où, face à nous, fille ou garçon peut sombrer. Souvent notre histoire et notre passé, notre couple parfois…, y sont à l’origine.
Sybille, fraîchement divorcée, n’a pas eu l’avenir brillant promis dans sa jeunesse et voit sa vie se défaire sous ses yeux. En face d’elle, son fils unique, Samuel, mutique, fermé qui sombre… Un incident proche du délit la fait soudain sortir de sa torpeur. Elle décide alors de tenter le tout pour le tout afin de le sauver en montant un projet fou : partir plusieurs mois avec lui à cheval dans les montagnes du Kirghizistan.
« Elle le regarde et elle est heureuse de le voir dormir comme il est, sans colère, sans être sur la défensive, sans haine ni jugement contre elle, car peut-être que c’est ce qui est le plus dur : l’impression que chaque fois qu’il la regarde, ce n’est pas pour la voir, elle, comme est est, mais pour la juger, pour lui prêter des intentions qu’elle n’a pas, pour lui faire un procès qu’elle a perdu d’avance. »
Et c’est l’histoire de ce duo improbable chevauchant dans des paysages magnifiques, mais des conditions difficiles, au milieu de peuplades rudes, réapprenant au fil des jours comment communiquer, mais surtout comment retrouver le fil perdu de sa propre histoire. Et finalement on ne sait pas qui va sauver l’autre ! C’est magnifique, bouleversant du début à la fin ! Le plus étonnant ? Que ce soit écrit de la plume d’un homme : si féminine, si juste dans la perception de ce duo mère-fils où l’auteur fait s’exprimer chacun à tour de rôle et dans la description des émotions de cette femme à laquelle il est si facile de nous identifier…
« Et puis à ce moment-là, il serait aussi prêt à penser que sa mère est une femme d’un courage extraordinaire, qu’elle tient tête à tout le monde, même si le plus souvent elle donne l’impression de s’effondrer à chaque secousse de la vie. »
Marie-Hélène Cossé