En Occident, tous les amateurs d’art contemporain connaissent Takashi Murakami : on se souvient en France de cette polémique lors de la présentation en 2010 de ses sculptures au Château de Versailles³… Au Japon, on le redécouvre avec enthousiasme après 14 ans d’absence à travers deux expositions, l’une à Tokyo au Mori Art Museum¹, juste close, l’autre en cours à Yokohama².
Bien moins simpliste qu’il n’y paraît. D’une esthétique qui peut apparaître simple, mignonne ou comme on dit en japonais « kawaii », on est très vite surpris pas sa profondeur, la complexité conceptuelle et technique de son œuvre. Ses références supposent une grande connaissance du Japon ancien et contemporain que ce soit les mangas, les films d’animation, les évènements liés aux guerres ou aux catastrophes naturelles, mais aussi l’art, la religion, l’artisanat.
Pétri de tradition. À Yokohama, il ouvre son exposition habillé d’un vieux kimono traditionnel ample et confortable et sa barbe évoque celle d’un vieux sage oriental. Sur beaucoup des toiles exposées au Musée Mori, on remarque les correspondances avec la peinture sur fond d’or, voire le goût pour le scintillant très ancien au Japon (la technique « haku-chirashi », pluie d’or et d’argent) ou son inspiration pour l’œuvre de Kazunobu Kano réalisée lors des tremblements de terre de l’ère Edo (1854-1855) où les morts se réincarnent en fantômes, animaux, esprits ou humains. C’est l’objet de cet immense polyptyque : « les 500 Arhats » qui n’a rien à envier aux représentations cauchemardesques d’un Jérôme Bosch et qui évoque les ravages des centrales nucléaires de Fukushima en 2011. Les êtres humains défigurés errent le long des murs comme des fantômes ou des animaux affamés.
Des sortes de concours de peintures qui amusaient la noblesse au 18e siècle sont aussi repris au Musée Mori. Un ami historien d’art soumet à Murakami des estampes classiques représentant des animaux (par exemple un tigre de Nagasawa Rosetsu de 1786) ou des portraits, des paysages afin de l’inciter à s’en inspirer et à réaliser ses propres représentations. Le résultat est souvent comique, on sent qu’il s’amuse à détourner la tradition, comme tout provocateur qui se respecte. Et il le fait avec talent.
L’art de faire du business ou le business de faire de l’art ? Comme pour beaucoup d’artistes contemporains, les questions sur la valeur de l’art ne sont pas absentes de sa démarche. Au Yokohama Museum of Art, l’artiste tranche en exposant un bric-à-brac qui n’est rien d’autre que sa collection personnelle : un véritable amoncellement chaotique de céramiques, de statues, d’objets en bois, de tableaux, de statues. C’est son monde intérieur, le monde imaginaire de Takashi Murakami. Et là, toutes les valeurs marchandes sont renversées. La collection de papillons réalisée par son père est présentée à côté d’une œuvre de Damien Hirst, Dream of Magnificence, qui représente aussi des papillons. Son idée : redécouvrir la signification et la beauté des choses simples et surtout éviter la hiérarchie, les préférences. Comprenez bien : c’est une « Superflat collection » !
Cet héritier de Warhol et du Pop Art américain mérite bien de revenir en Occident pour défendre l’art japonais. En effet, l’art de Takashi Murakami est harmonieux de par son ancrage à la tradition et turbulent par l’ironie et la distance qu’il s’impose. Sa force : pouvoir rencontrer tous les publics, jeunes, âgés, populaires ou sophistiqués. Alors, convaincues ?
Michèle Robach
Mid&Japon
¹Les 500 Arhats
²Superflat collection
³Exposition dans les Grands Appartements et la Galerie des Glaces du château de Versailles en septembre 2010.