Depuis 1993, rien sur Niki de Saint Phalle à Paris. Une grande rétrospective au Grand Palais vient rattraper le temps perdu : une exposition décapante à voir jusqu’au 2 février 2015. Alors que le visiteur n’a toujours pas validé son billet d’entrée, le voilà mis en joue par Niki de Saint Phalle en personne. Attention, vous n’allez pas sortir indemne de cette visite !
Cette franco-américaine issue d’un milieu bourgeois aisé aurait pu vivre paisiblement à l’ombre d’un mari écrivain, mais elle en a décidé autrement : un jour, elle a tout plaqué, mari et enfants, contre toute convenance sociale, pour exister par elle-même et se consacrer totalement à la création : « Peindre calmait le chaos qui agitait mon âme. C’était une façon de domestiquer ces dragons qui ont toujours surgi dans mon travail ». Autodidacte, l’art sera aussi pour elle la meilleure façon d’échapper à la maladie qui la hante : la dépression. À travers un parcours non-chronologique, on découvre une artiste engagée, féministe, critique, en colère, violente et tourmentée, mais aussi une femme pleine d’humour avec un unique objectif : partager, faire de l’art participatif, démocratique.
Zoom sur quelques-unes de ses œuvres pour illustrer son imagination et son pouvoir de création fertile et débridé :
– Autoportrait : portait éclaté en mille pièces de mosaïque (empruntées au Parc Güell de Gaudi)) et grains de café. Reflet d’une grande souffrance personnelle et du déchirement familial auxquels elle est confrontée à l’époque.
– Le rêve de Miss Avisham (Grillage, plâtre, dentelle encollée, jouets divers peints). En référence au personnage central des Grandes Espérances de Dickens, mariée éconduite qui se vengera des hommes à travers sa fille adoptive qu’elle manipulera.
– Les nanas colorées, symboles du féminisme et du pouvoir matriarcal affichent les atours épanouis et amplifiés de la féminité (ventres, seins) et à contrario une petite tête (ce qui sera mal interprété par certaines féministes…). Nous sommes loin des canons de beauté habituels que l’artiste a connus quand elle était mannequin !
– Black Rosy : référence au Black Power et à Rosa Parks. Niki de Saint Phalle rend hommage à celles qui sont doublement victimes en étant femmes et noires.
– Promenade du dimanche : un couple déambule bras dessus bras dessous. Madame démesurée et Monsieur rétréci tenant en laisse une araignée (symbole récurrent de la mort) estampillée d’un cœur rouge. Cela en dit long sur sa vision du couple.
– Tableau-cible : l’histoire dit que souhaitant se séparer d’un amant, la plasticienne lui prit une de ses chemises, la cloua sur un panneau, mit une cible à la place de son visage et s’exerça aux fléchettes invitant le public à faire de même. Prémices avant de passer au tir à la carabine sur toile.
– Jardins des Tarots (photos et film) : projet fou de l’artiste créé en Toscane qui s’inspire des 22 arcanes du jeu de tarot (20 ans de construction). Délire titanesque et onéreux qui l’obligera à produire «des produits dérivés» tels des flacons de parfum, des luminaires…
Quittant le musée et apercevant dans la brume hivernale la fontaine du jardin investie par un arbre-serpents de la sculptrice, encore troublée par quelques réalisations dérangeantes (seule artiste à représenter un accouchement…), émue par sa voix omniprésente (vidéos, films), je reste admirative de son énergie, de son audace et de sa détermination.
Christine Fleurot.
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