En cette fin d’été à Paris, le théâtre de l’Odéon-Ateliers Berthier lance un défi au public : venir assister, durant une demi journée, à 2666, pièce créée d’après l’œuvre de l’auteur chilien Roberto Bolaño. Ce défi, je l’ai relevé, en juillet dernier, au Festival d’Avignon, où le spectacle connut un joli succès. Je ne le regrette pas.
Tenir. Je dois être honnête : la curiosité a été ma première motivation. On ne part pas au théâtre pour 11 ou 12 heures d’affilée comme pour un week-end à la mer. Comment tenir ? Le spectacle en vaut-il la peine ? Performance absurde, snobisme ou création artistique hors du commun ? Café, Coca-Cola (pas zéro bien sûr !), escale toilettes, petits en-cas ? Me voilà partagée entre questions esthétiques et considérations bassement matérielles et néanmoins incontournables. La salle est pleine, pleine d’êtres impatients et un rien angoissés. On se regarde en coin : qui va résister, qui va dormir, qui va quitter le théâtre, vaincu par la fatigue ou par l’ennui ? On fait des paris sur le couple de devant, c’est lui ou c’est elle qui craquera en premier ? La lumière baisse, s’éteint. Le spectacle commence et on part. En voyage.
Échanges. À Avignon, l’aventure a démarré à 14 h, pour s’arrêter à 2 h la nuit suivante, avec quatre pauses, dont une longue pour se restaurer. Mais peu importe le nombre d’entractes ni leur durée. Ce qui compte, ce qui fait que l’on devient un heureux captif consentant, c’est ce rythme entre la salle et les couloirs, le dedans et le dehors. Entre le jeu des acteurs et la respiration des spectateurs. Au retour de la première pause, coup d’œil circulaire. Quelques places vides, mais peu. Premiers sourires aux voisins, deux ou trois mots. Puis ce sont des échanges, des réflexions, des rires. Chacun s’installe dans le plaisir, dans la surdimension, dans la conscience de vivre des heures peu ordinaires.
La force d’un livre. Ces moments ne seraient ni audibles, ni supportables, sans la force d’une œuvre, sans un texte – parfaitement respecté – à la démesure du projet. Le livre de Bolaño pèse plus de 1.300 pages. Ses héros vagabondent d’Europe en Amérique centrale, à la recherche d’un mystérieux universitaire nommé Arcimboldi et à la découverte du mal, le mal ancré dans notre monde, incarné par les femmes violées, disparues ou tuées au Mexique. Fiction, mais histoire vraie…
La jeunesse d’un metteur en scène. Rien ne serait possible non plus sans le talent créatif d’un jeune metteur en scène, Julien Gosselin, trentenaire à la pointe du théâtre d’aujourd’hui. 2666 tricote un incroyable et perturbant ensemble de paroles dites, de mots écrits, de lumières de boîtes de nuit, de musiques, parfois électro – on ne risque pas de dormir – et de vidéo. Le théâtre devient cinéma, l’acteur vivant devient image, il est filmé sur scène par des cadreurs caméra au poing, l’écran fait face au public, la vidéo s’impose puis s’efface, il y en a trop, ou pas… C’est aussi cela 2666 : une extraordinaire démonstration de ce qu’est le spectacle vivant aujourd’hui.
On en sort heureux d’avoir relevé le défi. L’Odéon propose la pièce en intégrale ou en deux parties… Tant qu’à vouloir voyager, oser l’intégrale me semble plus pertinent !
Dominique Burg-Faure
Mid&Provence
Odéon-Théâtre de l’Europe – Durée 11h dont 3h d’entracte (en intégrale les week-end ou en deux soirées consécutives de 5h30 et 4h les mercredis et jeudis).