Les Pionnières : Artemisia Gentileschi

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Connaissons-nous beaucoup de femmes artistes, peintres reconnues ? Elles ont pourtant peint dès l’Antiquité, mais furent plus ou moins marginalisées selon les périodes… Artemisia Gentileschi (1593-1652), est l’une de ces pionnières, artiste peintre baroque italienne de l’école caravagesque. Fille de peintre, elle fut l’apprentie de son père et arriva à vivre de son art, malgré une histoire dramatique personnelle dont elle a fait une arme.

« Suzanne et les vieillards »

Artiste créative, sa peinture est riche, mais deux de ses œuvres sont fortement significatives, car elles se situent à deux moments différents et importants de sa vie et sont révélatrices de sa nature profonde. Dans sa toute première œuvre (prémonitoire), en 1610, « Suzanne et les vieillards », Artemisia a déjà une représentation résolument originale de cet épisode biblique : son héroïne résiste à la violence masculine, ni soumise, ni victime, contrairement aux tableaux s’inspirant de la même histoire peints par ses collègues masculins, dont Rubens.

Le grand tournant de sa vie

Comme il est impossible à la jeune Artemisia d’accéder à l’Académie de Saint-Luc regroupant les peintres de Rome, Orazio, son père, décide de lui fournir un précepteur en la personne d’Agostino Tassi qui séduit Artemisia et la viole. Il promet de l’épouser, mais il est déjà marié. Orazio porte plainte auprès du Tribunal Papal. Selon l’éthique religieuse et les pratiques judiciaires de l’époque, ce n’est pas la victime (la femme) que l’on prend en compte, mais l’honneur de son père. Artemisia sera soumise à la torture pour s’assurer de son innocence. Le procès durera neuf mois, pendant lesquels elle continuera quand même à peindre ! Le violeur sera condamné à un an de prison qu’il n’effectuera jamais. Et que dire de son père ? Il n’a pas hésité à entraîner sa fille dans un cruel procès qui la marquera à vie, écartelée entre les valeurs du christianisme (la femme tentatrice) et la brutalité judiciaire (la question) qu’elle symbolisera ensuite dans sa peinture.

©Artemisa Gentileschi - Mid&Plus

« Judith décapitant Holopherne »

Sa deuxième œuvre majeure peinte vers 1611, après le viol, est parmi les plus connues. Autre épisode biblique, on y voit la décapitation d’Holopherne par une femme musclée, aux mains vigoureuses, sans pitié.  Il est logique de penser que la violence du procès imprègne cette représentation particulièrement crue de la décapitation, d’autant plus que c’est un autoportrait. Mais il s’agit également ici de décrire la puissance et l’héroïsme d’une femme qui sauve la ville de Bethulie à la force de ses mains.

Icône féministe

Artemisia connaîtra le succès à Florence, où le mari que lui a trouvé son père pour laver soi-disant son honneur (et qu’elle a connu le matin même de son mariage…) profitera de son talent (elle peint, il commerce avec sa peinture). Elle sera soutenue par les Médicis, entretiendra une correspondance avec Galilée et fera même un passage par la Cour du roi Charles 1er à Londres. Elle finira ses jours à Naples où elle mourra, très certainement, de la peste. Si Artemisia Gentileschi a connu pendant sa vie un succès artistique certain (dans les limites imposées aux femmes à son époque), elle tombera ensuite dans l’oubli. Sa réhabilitation ne date que du XXème siècle. Elle est maintenant exposée dans les musées du monde entier (mais pas en France) et vient de faire son entrée à la National Gallery.  Elle est devenue une icône féministe, symbolisant une femme qui utilisa les armes de sa personnalité et de son talent contre les préjugés de son temps, en peignant des femmes fortes et des héroïnes mythiques (et non des saintes ou martyres).

Mais regardons sa peinture et oublions un peu son histoire personnelle : cette belle femme à l’œuvre remarquable qui mit en pratique les mots du Caravage (qu’elle a d’ailleurs connu), « Le vrai plus que le beau », est une artiste de son époque qui savait ce que le mot résilience voulait dire.

Anne-Marie Chust

Lire
Gentileschi père et fille, essai de Roberto Longhi (1916)
Artemisia par Alexandra Lapierre (Robert Laffont – 2000, Poche – 2012)
Voir
Artemisia d’Agnès Merlet (1997) avec Michel Serrault, Valentina Cervi, Emmanuelle Devos, Frédéric Pierrot. Nommé au Golden Globe du Meilleur film étranger.

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