Une nipponne en occitanie

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Naoko Sano, une Japonaise hors normes, donne vie à 6.500 mots du vocabulaire quotidien en occitan et en japonais, invitée par Jean-Claude Séguéla, occitan convaincu, à l’occasion de la présentation de son livre « Vocabulari 0ccitan-Japones »¹ à la Médiathèque de Pézenas (Hérault) où elle était introduite par Nicole Cordesse et les Amis de Pézenas. Pour le moins inattendu !

Amoureuse d’une carte. Naoko est professeur de français et de sociolinguistique à l’Université de Nagoya. Étudiante, elle rêve de faire des recherches en France. Elle lit le livre d’un linguiste japonais, Tanaka atsuhiko² et tombe amoureuse de la carte représentant l’étendue de la région occitane (13 départements du Sud de la France), « comme on tombe amoureuse d’un bel homme », plaisante-t-elle. Amoureuse aussi de la richesse de l’histoire de cette région. Une grammaire occitane était déjà écrite en Japonais. Le « Mireille » de Mistral avait aussi été traduit dans son pays. Mais il y a 26 ans les deux auteurs en question étaient morts. « Et zut ! » plus personne ne fait de recherche sur le sujet qui la passionne. « Et hop ! » la voilà partie pour Montpellier. Elle devient quelques années plus tard une enseignante originale et ajoute à sa production ce livre commandé par un éditeur japonais, équivalent de celui de la méthode Assimil.

Faire danser les gens pour faire danser les mots. Arrivée à Montpellier, outre ses études à la faculté Paul Valéry, Naoko entre dans la peau de son nouveau personnage. Dynamique, enthousiaste et joyeuse, elle participe au groupe musical occitan qui fait danser le public lors des manifestations folkloriques. Elle joue du fifre, porte le « Petassou », figure traditionnelle du carnaval et participe à toutes les fêtes costumées. Et elle apprend aussi les mots qu’elle fera danser plus tard dans son livre.

Un Japon uni-linguiste. « Les Japonais sont curieux, mais pas doués pour les langues, bien qu’il en existe de minoritaires et des dialectes dans notre pays », ajoute Naoko. Les Japonais parlent le japonais et maintenant de plus en plus l’anglais. Très peu de personnes s’intéressent au français qui est minoritaire. Alors, pour ce qui est de l’occitan… il y a peut-être cinq ou six personnes qui le pratiquent ici, pas plus. « Je dois impérativement venir en France quand je veux l’exercer ! », s’exclame encore Naoko dans notre langue avec laquelle elle jongle avec humour et talent. Actuellement, elle enseigne le Français à l’Université de Nagoya au Japon, pour gagner sa vie.

Langue ou patois. « Chaque langue a une philosophie différente. La linguistique est politique », explique encore Naoko. Pour elle, le concept langue ou patois est franco-français. Un mythe a été construit avec les serments de Strasbourg, acte de naissance de la langue française en 842. Et c’est la France qui a inventé le mot patois, un mot souvent péjoratif. Il y a mythisation des langues naturelles. La sociolinguistique est une branche de la linguistique qui traite des relations entre sociétés et langues. On a tendance à séparer langue et humains et à oublier ce contexte concret en étant trop théoriques. L’Occitan est un peuple d’accueil qui a voulu être compris, indique en substance Claude Alranq, artiste, artisan du renouveau du théâtre méridional d’expression française et occitane qui assistait à la présentation du livre. En occitan, le « néant » est le « nonres » (non rien), ce qui veut dire qu’il y a quelque chose.

Le Japonais, une langue originale. Le Japonais n’appartient pas à la même famille que le Chinois, le Coréen, serait plus proche de la nôtre, déclare enfin Naoko. Ces langues ont historiquement une syntaxe qui se ressemble. S’il existe tout de même une influence chinoise en Japonais, la langue japonaise est originale. Elle est compliquée à lire et à écrire. Cette année Naoko a tout de même réussi à amener une de ses élèves à « adorer » la langue occitane et à l’amener ici dans le cadre de son voyage d’études, même si elle rencontre encore des difficultés à rouler le « » de Carcassonne.

En conclusion, pour harmoniser langue et patois, l’idéal serait de faire coexister les trois espaces : Régions-État-Europe. Il est possible d’appartenir à la fois à une nation et à une région. C’est le pari de Naoko qui fait danser le Pays d’Oc avec celui du Soleil levant. Et son credo est devenu « Es sus la talvera qu’es la libertat », une expression de Jean Peloux qui affirme : « C’est à la lisière que se trouve la liberté ». Et il ne faut pas hésiter à y aller.

Isabelle Brisson
Mid&SudOuest

¹Éditions Daigaku Shorin.
²La traduction du titre en Français serait « Les langues et les États. Kotoba to Kokka(ことばと国家, 1981, Iwanami 岩波新書, Japon. 

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