Allez à l’expo avec votre mère ou grand-mère. Elle sera enchantée par ces grands panneaux qui font revivre les intérieurs 1900 des grands appartements ou maisons de famille 1900. Peu de chance que l’histoire de ce mouvement éphémère au nom bizarre intéresse votre belle-fille. Et pourtant…
Décors et Arts décoratifs
L’espace est saturé, des femmes conversent, font de la couture, lisent ou jouent au piano. Tout y est : papiers peints, tapis, tentures, tapisseries, bouquets de fleurs, accumulation de meubles. Les Nabis, ces jeunes prophètes (Nerîîm en hébreu) sensibles au mysticisme, tenants de l’Art total (Gesamtkunstwerk), personnalisent les intérieurs : abat-jours, éventails, paravents, boite à cigare. Du tarabiscoté, c’est l’Art Nouveau. Vuillard excelle dans la création de ces décors- il a une expérience de metteur en scène- qui absorbent les personnages.
N’emmenez pas votre belle-fille éprise de vide et d’espace qui a envoyé aux Puces la paire de fauteuils Louis XVI signés, parfaitement inconfortables, hérités de la tante Germaine qui attendait sa visite chaque premier jour de l’an. Elle dira qu’elle étouffe, voire qu’elle est angoissée, par ces intérieurs silencieux coupés du monde réel.
Jardins
Votre mère ou grand-mère aimera aussi ces toiles aux couleurs claires et gaies représentant la Cueillette des Pommes (Bonnard) qui l’immergera dans le vert (arbre, herbe, verger) des jardins publics (Vuillard) ou des figures féminines dans des décors végétaux (Maurice Denis). Elle pourrait murmurer la phrase de Jan Verkade « Il n’y a pas de tableaux, il n’y a que des décorations ». Tout est stylisé et souvent curviligne. L’influence des estampes japonaises est évidente.
Japonisme
Si les couleurs vives des Nabis ont pour origine principale Pont-Aven avec Gauguin, Sérusier, Émile Bernard, elles ont aussi pour origine les estampes de l’ukiyo-e (images du monde flottant) qu’ils épinglaient sur les murs de leurs ateliers. Ils se sont inspirés de cette capacité à simplifier les formes, de la sinuosité des personnages féminins et de leurs fantaisies décoratives. Un ensemble d’estampes est exposé, ainsi que des pages de garde de la revue Le Japon Artistique publiée par le marchand d’art Siegfried Bing.
Mysticisme et Symbolisme
Votre belle-fille aurait aimé les estampes, elles ne prennent pas de place et cette touche d’exotisme et de lumière ferait très bien sur ses murs, elle a d’ailleurs manifesté son intérêt pour celles de votre chambre à coucher le jour où elle a exprimé son refus d’hériter de vos meubles. De même, elle serait tombée en extase devant quelques petites toiles de Maurice Denis, d’une merveilleuse simplicité poétique comme Les bateaux jaunes ou les oiseaux roses.
En revanche la peinture sacrée de Maurice Denis l’aurait fait bailler, la mystique n’est pas son fort. Même réaction à l’égard des sept panneaux allégoriques de Ranson sur le travail de femme dans les champs et surtout pour la Légende de Saint Hubert (Maurice Denis) à la gloire des pieux propriétaires, à reléguer dans un des derniers grands châteaux avec chapelle possédé depuis de nombreux siècles par la même famille.
Ésotériques ou non, ces « révolutionnaires » ont embelli la vie. Saluons le Musée du Luxembourg qui est parvenu à rassembler des panneaux souvent dispersés, beaucoup ayant disparu lors de déménagements ou de ventes. Mais si vous aimez Maurice Denis, allez au Musée du Prieuré à Saint-Germain en Laye lorsqu’il rouvrira à l’automne.
Pierre-Yves Cossé
Un Breton à Paris
Les Nabis et le décor, Musée du Luxembourg, 19 rue de Vaugirard, 75006 Paris, jusqu’au 30 juin 2019, ouvert tous les jours de 10h30 à 19h et nocturne tous les lundis jusqu’à 22h. Fermé le 1er mai.