Être humain, c’est se construire avec une double colonne vertébrale : une vie privée et une vie sociale. Sans la vie sociale, l’homme est dévalorisé et bancal. Pour celles qui ne la connaissent pas encore, Claude Halmos, psychanalyste et écrivain, vient de faire paraître un livre, cri de colère et d’incrédulité, sur notre société malmenée par la crise et le chômage : « Est-ce ainsi que les hommes vivent ? »
De qui se moque-t-on ?
La pathologie issue de la crise se surajoute à celles qui sont individuelles et touche aux mécanismes vitaux. L’auteur parle aujourd’hui des ravages psychologiques de la crise et du chômage dans de nombreuses couches sociales de la population, aisées ou non, et s’emporte contre les adeptes de la psychologie positive dans une situation de chômage. « Vous êtes chômeur, vous n’avez plus rien et l’on vous dit que vous pouvez positiver tout ça et le vivre sereinement ! Mais de qui se moque-t-on ? » Pour elle, cette théorie accroît la culpabilité et la dévalorisation et n’incite pas à se soigner. Les psys devraient au contraire dire qu’il est normal d’avoir peur de l’avenir, sans avoir honte, et que ce n’est pas celui ou celle qui consulte qui va mal, mais le monde. Ce discours devrait être aussi celui tenu par les politiques, les médias et dans les écoles.
Les mots ont un poids et un prix
En effet, pour l’écrivain, la crise engendre une maltraitance sociale, aussi bien pour les enfants que pour les parents. Comment donner aux futures générations de l’espoir quand les parents et grands-parents qui les entourent ne se lèvent pas, car ils n’ont pas de travail ou n’ont plus d’attente ? Demain doit rester accessible. Claude Halmos prône l’usage des mots : il est essentiel de parler de ses difficultés matérielles ou professionnelles avec ses enfants, expliquer que le chômage n’est pas lié au fait d’être moins bon que les autres ou d’avoir été mauvais élève à l’école. Claude Halmos dit : « J’aurais voulu que l’on parle à la petite fille que j’étais, que l’on m’explique les difficultés des adultes ». La société doit dire : « ton papa est au chômage mais ce n’est pas un incapable ». Enfin, les réseaux sociaux et l’utilisation du téléphone portable remplacent-ils le manque de parole dans les familles ou bien le manque de parole a-t-il généré cette utilisation quasi névrotique pour certains ? Les mots ont un poids et un prix, ils rendent la vie plus facile !
Claude Halmos souhaite aussi un retour au combat collectif qui offre de la perspective et une prise sur le monde. « Lorsque l’on est dans la lutte commune, on se rend compte que l’on peut recevoir et donner, donc que l’on n’est pas rien ». Prendre part à la lutte contre la crise en menant des actions collectives à l’échelle associative ou de la ville permet de soigner sa part sociale et de se concentrer sur autre chose que soi-même pour sortir de la noirceur de sa situation.
Marie-Hélène Cossé
Claude Halmos est née en 1946. Après avoir travaillé avec Françoise Dolto et exercé pendant plusieurs années dans des consultations de pédopsychiatrie, elle est devenue l’une des spécialistes reconnues de l’enfance et de la maltraitance. On la retrouve aujourd’hui chaque mois dans Psychologies Magazine où elle répond aux questions des lecteurs.
Auteur notamment de Parler, c’est vivre – Pourquoi l’amour ne suffit pas (Éd. NiL), Dis-moi pourquoi. Parler à hauteur d’enfant (Éd. Fayard).