Récupérer, ramasser, calibrer, ranger, accumuler pour mieux créer telle est la grammaire de la plasticienne, Béatrice Arthus-Bertrand. Collectionneuse invétérée, elle donne une deuxième vie à des objets à travers des œuvres empreintes d’ironie et de poésie et d’une facture technique totalement bluffante.
Il y a dix-huit-ans, Béatrice Arthus-Bertrand a rendu son tablier. Styliste culinaire, elle décide de quitter les plateaux des studios-photo. Au-delà d’un œil artistique sûr, de son ancien métier elle conservera le goût du travail minutieux et une dextérité de Madame Bricolage.
Accumulation et imagination
Admirative de l’outrenoir de Soulages, des Compressions de César et de la précision de Ron Mueck, Béatrice Arthus-Bertrand amorce alors son propre travail artistique. Elle relie son intérêt pour les galets à son enfance où déjà, sur les plages bretonnes, elle les glanait et les gardait précieusement. Sa passion pour la chine, elle l’a toujours eue, écumant les vide-greniers où elle acquiert pins, fioles, boutons, jouets, porte-clés, pampilles, presse-citrons… par kilo et par millier ! Chaque objet acquis rejoindra sagement son bac attendant son heure dans son atelier, entre grand bazar et cabinet de curiosités.
Inspiration sans explication
« Je ne suis pas une intellectuelle, je suis une instinctive, je suis autodidacte ! » Inutile donc de lui poser des questions intrusives sur les origines de sa collectionnite aigüe. Vain de lui demander une explication métaphysique sur ses œuvres. Incongru d’évoquer ses origines familiales liées à l’artisanat d’art : bijoutier-médailliste par son père et éditeur de tissus par sa mère. La plasticienne, pudique, préfère être attentive au ressenti du public face à ses créations : ceux qui ne peuvent s’empêcher de caresser sensuellement ses Galets, sentir leur énergie ou ceux qui, au contraire, s’exclament « Quelle horreur ! » face à un de ses Inclassables.
Énergie et patience
Difficile d’imaginer ce petit bout de femme, chevelure flamboyante, au regard bleu glacier, se colletant à la verticalité de poutres, maniant tronçonneuse ou pistolet à clou, maîtrisant la prise de ciment mieux –dit-elle- que la cuisson de ses lasagnes qu’elle nous réserve au déjeuner. Elle passe allégrement du travail physique de ses monumentaux Totems aux gestes répétitifs d’une forêt de cure-dents évoquant une concrétion corallienne. Un lustre fellinien en forme de barque constitué de fils d’acier et de leurres de pêche attend de larguer ses amarres. Une série de têtes de Pinocchio fixées sur des patins roulettes sont prêts à fuir devant leurs lots de mensonges.
La création comme une urgence
« J’ai une angoisse de partir sans travail ». Si certaines emportent leurs travaux d’aiguilles en voyage, Béatrice Arthus-Bertrand n’en envisage aucun sans poursuivre une œuvre en cours de gestation : son chien Pixi hérissé de 15.500 épingles à tête de verre fut ainsi réalisé lors de vacances marocaines. « Je n’ai pas de problème de créativité » affirme l’artiste qui travaille chaque jour. En ce moment, des milliers de coton-tiges XXL attendent d’être calibrés, plongés dans un colorant bleu puis alignés sur un socle percé méthodiquement au laser.
Toujours en action et en projet, préparant une prochaine exposition, Béatrice regrette qu’aujourd’hui son travail ne soit pas plus visible et évoque les difficiles ponts entre artiste et galerie. Regardant ses mains pâles, outils précieux, elle constate, s’excusant presque : « Cela se voit, ça fait longtemps que je n’ai pas travaillé le noir ».
Christine Fleurot