Bernard Ollivier, le monde à contrepied

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Une fois n’est pas coutume, le portrait de la semaine sera celui d’un homme, mais pas n’importe lequel. Ancien journaliste connu pour ses récits de voyages à pied, fondateur d’une association de réinsertion des jeunes par la marche, Bernard Ollivier est bien déterminé à ne laisser personne sur le bord de la route.

La vie commence à 60 ans

À soixante ans, Bernard a le moral à zéro. Il a perdu sa femme brutalement il y a dix ans et vit très mal sa retraite qui approche. Après une tentative de suicide ratée, il se donne trois mois pour trouver une raison de vivre. Il entend parler du Chemin de Compostelle. Six jours après son départ à la retraite, il part vers Santiago. « C’est une marche miraculeuse ! » dit-il. Pas au sens spirituel du terme, car Bernard n’est pas croyant, mais au sens propre : le marcheur se surprend à refaire des projets au bout de trois semaines, fini les « à quoi bon ? », plus il marche et plus il se sent bien. Au bout de trois mois, après avoir marché 25 à 30 kilomètres par jour, il se retrouve à Compostelle en pleine forme. « La suite c’est quoi » se demande-t-il ? « Je voudrais continuer à marcher ! » se dit-il.

« La marche, je l’ai expérimenté sur moi-même, a un effet thérapeutique : la marche vous grandit, la marche vous libère, elle vous fait découvrir des qualités et des ressources insoupçonnées. »

Il s’intéresse à la Route de la Soie, 12 000 km d’Istanbul à Pékin, distance que personne n’a jamais parcourue à pied. Il rentre et prépare son aventure qu’il découpe en quatre tronçons. Puis il contacte des éditeurs, un d’entre eux lui répond favorablement, et il part début 1999, huit mois à peine après son retour, mais cette fois pour marcher ET écrire un livre. Le premier tome de sa trilogie¹ sort au printemps 2000. C’est un gros succès ! « Je suis invité sur les plateaux télés, je donne des conférences, je deviens une star. » dit-il en éclatant de rire !

Marche et invente ta vie

Sur le chemin de Compostelle, Bernard a entendu parler de deux jeunes belges à qui un juge a proposé une alternative à la prison : quatre mois de marche ! Cette idée ne l’a jamais quitté et une fois rentré de la route de la Soie, l’argent de la vente de ses livres en poche, il rend visite en Belgique à l’association Oikoten qui a monté ce concept, car il est bien décidé à monter une association similaire en France. En mai 2000, il dépose les statuts du Seuil² (« je fais franchir à ces jeunes marginaux le seuil de la société »). En 2001, le premier voyage est lancé, deux jeunes partent avec un accompagnant. Il faudra 12 ans de tracasseries administratives et autres avant que l’association ne soit enfin reconnue par les autorités judiciaires françaises. Depuis, elle envoie 35 à 40 jeunes par an sur la route et aujourd’hui plus de 300 ont déjà suivi le programme. « Quand je suis parti, j’étais un blaireau dit un jeune. Depuis que je suis revenu, je suis un héros. »

Quel est le contrat ? Simple et brutal : marcher 2 000 kilomètres, sac au dos, pendant trois mois, par tous les temps et en toutes saisons, dans un pays étranger, sans musique, ni téléphone, ni internet. Un accompagnant, un jeune. Ce dernier est maître de dire « j’arrête » ou « je continue ».
Qui sont les accompagnants ? Hommes et femmes. Ils ont entre 25/30 ans et 65 ans : un éducateur spécialisé, un moniteur d’auto-école, une conductrice de poids lourds, etc. Ils sont triés sur le volet. Chaque candidat passe devant un jury. Les qualités requises ? Empathie, générosité, patience, psychologie.
Qui sont les jeunes ? Ils ont entre 13 et 18 ans, déjà en prison, ou en centre de détention pour mineurs, ou prêts à y aller, des jeunes radicalisés aussi. On compte plus de garçons que de filles. Chacun d’entre eux est volontaire : trois mois de prison ou trois mois de marche ?
Ce qu’ils gagnent ? Une place dans la société qu’ils avaient rejetée.
Des résultats ? Entre 75 et 80% de non récidive (15 % des jeunes abandonnent la marche dès le premier mois). « Il faut savoir qu’en prison ou en centre de détention pour mineurs le taux de récidive est de 80% l’année qui suit. Sans parler du fait qu’une journée en cellule ou en centre coûte €700 à la collectivité, tandis qu’une journée du Seuil €320. » ajoute Bernard.

Bernard, même s’il est toujours très actif pour l’Association dont il est devenu président honoraire (je l’ai rencontré lors d’une tournée de conférences qu’il donnait à Saint Jean Pied de Port pour présenter le Seuil), se bat aujourd’hui pour sensibiliser à la nécessité d’une vie plus sobre, plus responsable et solidaire par le biais de son association Air-e³ qui vise à la création de villages autonomes en nourriture, énergie, logement et eau, permettant d’assurer à leurs membres les moyens de vivre en sécurité par l’entraide. « Face à une menace, on subit ou on bouge ! » Décidément, voilà un homme de combat qui aime à proposer des alternatives.

Marie-Hélène Cossé

©Bernard Ollivier - Mid&Plus¹Longue marche. À pied de la Méditerranée jusqu’en Chine par la route de la Soie. Tome 1 : Traverser l’Anatolie. Tome 2 : Vers Samarcande. Tome 3 : Le vent des steppes. La vie commence à 60 ans (Libretto – 2012). Marche et invente ta vie (Arthaud – 2015).
²Association Seuil
³Association Air-e

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