Ambassadrice de la pierre sèche, voilà une fonction que Claude Froidevaux accepte volontiers ! Depuis plus de vingt-cinq ans, elle a marqué de son regard vert et de son charmant sourire les pierres sèches de l’Hérault. Ici, cette universitaire passionnée d’archéologie, franc-comtoise d’origine, œuvre inlassablement et bénévolement pour la sauvegarde du terroir et la transmission d’un savoir-faire ancestral¹.
Une véritable fourmi. L’activité qui consiste à réhabiliter des murs en pierres sèches ou à en construire denouveaux est un véritable travail de fourmi. C’est ainsi que Claude se définit avec les bénévoles qui l’aident. « Ça s’apprend, mais c’est beaucoup de temps », explique-t-elle. Il faut que les murs soient bien solides. Ils ont le double avantage de retenir la terre en cas de pluies diluviennes et de laisser passer l’eau. Ce qui limite les effets néfastes en cas de grosses inondations. Élément particulièrement important dans la région qui comprend sept communes de l’appellation AOC Faugères.
Parler à l’oreille des cailloux. « Une pierre seule c’est un caillou », explique encore l’intarissable Claude.
« Quand on la relie au sol en l’emboitant à un autre caillou cela devient un mur de pierres sèches ». Et de reprendre : « Chaque pierre a sa propre logique, il faut la faire parler ». Forte de soixante-dix-sept printemps, cette travailleuse patiente force l’admiration. Elle trouve l’énergie de soulever d’énormes pierres quand elle les juge gênantes et n’hésite pas à passer des heures entières courbée en deux. « On prend la pierre on la met dans le bon sens, on la pose. Elle ne doit pas bouger, pas redresser le derrière quand on appuie dessus. Le secret c’est de créer des liens entre les cailloux ». Le matériel est récupéré au pied du mur. Neuf fois sur dix toute la pierre est restée sur les lieux et l’on peut remonter le mur.
De carabelles en capitelles avec des prénoms de femmes. Carabelle ou capitelle ? C’est pareil. Dans la région, la carabelle, est la forme francisée et féminisée du mot occitan. Près de cent dix carabelles ont été recensées par l’Association de défense et de sauvegarde du patrimoine des hauts cantons de l’Hérault, même si Claude et ses Fourmis en ont compté plus et en ont restauré 16 en 4 ans. La première fonction d’une carabelle était d’utiliser les cailloux enlevés pour cultiver la terre. Et l’on marquait son territoire avec des murs. Les carabelles n’ont pas de fondations, elles possèdent une voûte à encorbellement². Claude et ses Fourmis leur donnent presque toujours des prénoms féminins. C’est le cas de Juliette, par exemple, qui a été réhabilitée, vandalisée et reconstruite… Même si un arrêté municipal protège la pierre sèche maintenant³.
De partenariats en conventions. Pour l’année 2016, l’Association a signé sept conventions avec des communes ou des privés. À Autignac, on construit un mur de 27 mètres avec des blocs de corail fossilisé et du marbre brut issu des vignes, à Gabian ce sera le site d’une capitelle et du Chemin des Puits, à Laurens on refait le collier des murs près de La Tour, etc. Chaque semaine voit une intervention minimum par jour, excepté le mardi qui est ouvert à tout public de 14 à 17 h. « Nous avons construit des kilomètres de murs, la difficulté étant d’obtenir l’autorisation d’entrer dans les propriétés privées qui possèdent des vestiges », observe Claude Froidevaux qui a constitué des montagnes de dossiers pour chacune de ses actions. « Notre critère d’intervention étant que le mur doit servir le paysage et être vu par tout le monde, en tant qu’exemple du savoir-faire que nous voulons transmettre ».
Avec les handicapés. Une matinée passée à défricher un terrain sur les hauteurs de Faugères et un pique- nique partagé avec l’Atelier Thérapeutique Occupationnel du Centre des handicapés de l’Hérault m’a montré que ces jeunes gens tirent un profit fantastique de l’expérience renouvelée une fois par semaine avec Claude. Défricher les défoule, les occupe, les amuse. Ils savent qu’ils font œuvre utile avec la mise en valeur des paysages. « Partir à la recherche de murs anciens reste le plus passionnant de notre tâche », confirme notre ambassadrice.
Grâce aux Fourmis de nombreux projets ont vu le jour : Pierres sèches et plantes médicinales enTunisie, Les mates basses gérées par le Parc naturel régional du Haut-Languedoc, bientôt le Mémorial Louis Paulhan à Pézenas, pour ne citer que ceux-là. Le savoir-faire de la pierre sèche a été reconnu comme un métier d’art et pourrait bientôt devenir patrimoine immatériel de l’Unesco. « Je travaille 24 h sur 24, mais j’ai une chance inouïe : c’est mon mari qui s’occupe de la maison », conclut Claude que la pierre sèche n’empêche pas d’être tendre.
Isabelle Brisson
Mid&SudOuest
¹Association Pierre Sèches
²L’encorbellement permet de construire des voûtes sans faire appel à des cintres de bois grâce à l’entassement très spécial des pierres. Il est employé depuis le Néolithique et a servi dans les temples d’Angkor.
³4 avril 2001