La comtesse de Ségur, un peu de Sophie en chacune de nous

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Qui était-elle ? C’est d’abord une de mes madeleines (sans jeu de mots) de Proust. Lorsque j’ouvrais ses livres, il y avait cette première page intrigante : « Par la comtesse de Ségur, née Rostopchine. » Qui se cachait derrière ce nom étrange ?

Une enfance tourmentée

Sophie Rostopchine (eh oui elle s’appelait Sophie !) est née à Saint Pétersbourg en 1799, issue d’une grande famille de la noblesse russe, une enfance dans l’immense domaine de Voronovo où œuvraient 4 000 « âmes ». Petite fille turbulente, souvent punie par ses parents et houspillée, pour ne pas dire tourmentée, par sa mère. Sophie, depuis l’âge de treize ans, est élevée dans la religion catholique, je vous épargne les brèves de comptoir, mais la culpabilité et le sens du châtiment divin, ça la connait. Elle rejoint ses parents à Paris où son père a dû s’exiler et elle se marie à dix-neuf ans avec Eugène de Ségur. Ses parents lui offriront en cadeau de noces le Château des Nouettes où elle passera beaucoup de temps pour s’épargner les mondanités de la vie parisienne car, si ce mariage fut d’abord heureux, elle sera par la suite très délaissée par son époux volage qui prendra quand même le temps de lui faire huit enfants et l’appellera « la mère Gigogne »…

Elle aurait aussi souffert « d’hystérie », peut-être héritée de sa mère (on est un peu neurasthénique dans ces familles) ou plus prosaïquement de son coureur de jupons d’époux, qui lui aurait transmis une maladie vénérienne. Ces épisodes d’hystérie étaient suivis de longues périodes de mutisme l’obligeant à correspondre avec son entourage avec une ardoise. Elle y a peut-être acquis le sens de l’écriture.

Une vocation tardive

La comtesse n’écrira son premier livre qu’à 50 ans et finira par être l’auteur de vingt contes moraux destinés à chacun de ses petits-enfants où le bien triomphe toujours du mal et où le thème récurrent des châtiments corporels décrits sans complaisance, qui font peut-être écho à sa propre enfance malheureuse avec sa mère, marque une rupture avec les modèles antérieurs de la littérature enfantine. C’est exactement ce que recherchait Louis Hachette qui trouvait que la littérature pour enfants n’était pas assez distrayante pour cette époque où commençaient les longs voyages en train ennuyeux… Et oui, la comtesse a été une pionnière de la littérature de gare¹ et de l’émancipation féminine puisqu’elle négociera ses droits d’auteur et obtint qu’ils lui soient directement reversés lorsque son mari pousse le bouchon un peu trop loin. Elle deviendra même tertiaire franciscaine, sous le nom de sœur Marie-Françoise (je vous disais bien… la religion) et mourra à 75 ans.

1 Pour qui la célèbre bibliothèque reliée en percaline rose a été spécialement créée en 1856 par Louis Hachette.

Françoise Dolto avant l’heure

Qui lit encore la comtesse de Ségur aujourd’hui ? Et bien en 2010, il s’est encore vendu 29 millions d’exemplaires et même si ses descriptions d’un monde aristocratique et bourgeois ne sont plus vraiment en phase avec notre société actuelle, les psychanalystes s’accordent à nous dire que :

« Finalement la comtesse de Ségur était avant-gardiste. Elle avait très bien compris la complexité des comportements des enfants. Encore aujourd’hui le besoin d’attention est très souvent la raison pour laquelle un enfant est turbulent et agressif. »

On la retrouve chez Raphaël Enthoven² où il explique dans son dernier livre que la comtesse faisait partie des idoles qu’il s’était donné pour grandir et qu’elle lui sauva l’existence face à une violence qu’il ne comprenait pas. Christophe Honoré, le cinéaste, pense dans son adaptation des « Malheurs de Sophie » que les personnages sont si réels et complexes que ses histoires traversent les générations et sont un vrai manuel d’éducation qui se clôt par une leçon de bonne conduite et que Sophie… c’est chacun de nous.

Moi, en tout cas, la comtesse m’ouvrait les portes d’un monde « certifié » auquel je n’appartenais pas qui me faisait rêver d’être ou Camille ou Madeleine (indifféremment), ce que je n’étais pas vraiment, car finalement par rapport à Sophie, elles étaient bien trop lisses et polies !

Anne-Marie Chust

²« Le temps gagné » de Raphaël Enthoven aux Éditions de l’Observatoire (septembre 2020).

Mes « Comtesses » préférés : « Les petites filles modèles », « Les malheurs de Sophie », « Après la pluie, le beau temps ».

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