Élizabeth Sobczynski se souvient encore de son arrivée à Deir al-Surian. Au bout d’une route en plein milieu du désert égyptien de Scetis, elle distingue les silhouettes magnifiques des moines vêtus de bures noires, debout devant leur monastère. Ils l’attendaient depuis 5 heures du matin, « c’était comme un tableau ! »
Élizabeth ne parlait pas un mot d’anglais à son arrivée de Pologne à 21 ans au Royaume-Uni. Elle se spécialise dans la conservation et la restauration de dessins d’art sur papier du XIVe au XXe siècle. Elle a travaillé pour la Tate Britain et fait des conférences sur la conservation des pastels.
« Une aventure commençait pour moi »
Tout a commencé un an plus tôt, en 1996, avec une lettre du Père Bigoul. Préoccupé par le mauvais état des manuscrits conservés dans sa bibliothèque, il l’invitait à venir au Monastère des Syriens. En faisant appel à la conservatrice-restauratrice basée à Londres, le bibliothécaire avait tapé à la bonne porte. Sur place, Élizabeth estime tout de suite le travail nécessaire pour préserver le trésor qu’elle découvre dans une tour du monastère : une collection unique de 1 200 précieux manuscrits, papyrus, codex (nom des tout premiers livres) en parchemin ou en papier, ornés d’enluminure, qui tombent en ruine. Certains n’ont plus de reliures, d’autres sont dévorés par les insectes… « Ce fut la visite la plus intéressante de ma vie. Une aventure commençait pour moi. Dans ce monastère, j’ai tout appris sur l’Égypte et sur les Coptes. »
« J’ai tout de suite su que je voulais les aider »
Le monastère, construit au VIe siècle en plein désert entre Le Caire et Alexandrie, accueille au IXe siècle des moines syriens venus de Tykrit avec leurs livres et manuscrits, puis plus tard des moines éthiopiens. Aujourd’hui, c’est un des monastères les plus importants du monde copte. Sa bibliothèque renferme les plus anciens ouvrages chrétiens écrits entre le Ve et le XIIIe siècle en copte, en syriaque (dérivé de l’araméen, la langue utilisée par Jésus), en arabe chrétien et en éthiopien. Ces manuscrits font le lien entre les textes syriaques et grecs antiques et les traductions arabes du Moyen-Âge qui les feront connaître aux Européens. On retrouve aujourd’hui des manuscrits, rapportés à la fin du XVIIIe siècle par des chercheurs, au Vatican et à la British Library à Londres.
« C’est notre histoire »
Élizabeth va se battre pour sauvegarder et restaurer ce patrimoine historique et culturel unique. « Les moines ont conservé les manuscrits, mais ils n’ont aucun moyen pour financer leur restauration et ils manquent d’expertise dans le domaine. » Elle trouve des sponsors et crée en 2002 la Fondation Levantine¹ à Londres. En 2014, une librairie moderne et un centre de conservation sont inaugurés. Élisabeth mobilise des restaurateurs de livres anciens, linguistes et universitaires du monde entier et organise chaque année des campagnes de plusieurs semaines pour conserver et cataloguer les textes religieux et philosophiques. Une centaine de codex et près de 300 fragments de manuscrits, dont certains remontant à 411, sont déjà ainsi consolidés, page par page, avec du papier japonais. En 2019 et 2020, grâce à une bourse du British Council, deux campagnes ont permis de préserver 17 manuscrits. Le travail sur place permet également de transmettre les pratiques de restauration aux moines et conservateurs égyptiens.
« J’aime transmettre les techniques de conservation et partager mes connaissances. C’est une chance pour moi. Je partage ma passion, mes connaissances et mes techniques aux autres professionnels. »
Pour maintenir les précieux volumes dans leur intégrité afin que les religieux puissent continuer de les consulter et que les chercheurs les étudient sans les abîmer, Élizabeth cherche encore aujourd’hui des sponsors pour former des conservateurs et continuer le travail de restauration au Monastère des Syriens, « mais c’est difficile de donner de l’argent pour quelque chose que l’on ne voit pas… »
Marie-Blanche Camps
Fondation Levantine – Bénévole depuis vingt ans au sein de la Fondation Levantine, Élizabeth a su gagner la confiance des moines : « Je donne, mais ils donnent, c’est un échange intellectuel ».