Jacqueline Schaeffer, psychanalyste française, me reçoit dans l’appartement-cabinet de curiosités qu’elle a partagé avec son époux Pierre Schaeffer, au milieu de leurs livres et de leurs souvenirs, afin d’évoquer une vie bien remplie et la question qui a occupé sa longue carrière : le féminin.
« Le destin d’une femme connaît, à mon sens, un antagonisme particulièrement conflictuel entre l’érotique, le maternel et la réalisation sociale, et ceci de manière continue. À la différence du maternel, lequel est périodique et temporel, le féminin érotique, de jouissance, est marqué par l’intemporalité de la pulsion sexuelle, par sa poussée constante. »
Une enfant sauvage et mutique
Un père polytechnicien qui construit des routes et des barrages en Afrique, une mère organiste (la plus jeune de France), Jacqueline passe son enfance au Cameroun puis au Sénégal. Des souvenirs d’années en pension où elle n’a pas été bien traitée. Elle rentre en France quand elle est en troisième : « J’étais une enfant sauvage et mutique. Je ne comprenais pas comment les autres enfants fonctionnaient entre eux. » Son père, dit-elle, n’avait pas d’ambition, ni pour lui-même ni pour ses enfants. « Il aimait le piano et les insectes. » Elle ne fait donc pas d’études après son bac : un peu de secrétariat, un voyage à Tahiti lorsqu’elle a 20 ans où elle reste vivre quelque temps avant de rentrer à Paris et se demander ce qu’elle va faire de sa vie. Un métier humain pense-t-elle ! Elle opte pour des études de psycho.
La rencontre
Elle a 25 ans. Un ami l’emmène à un concert où elle rencontre Pierre Schaeffer, fondateur de la musique concrète, chercheur, écrivain, musicien. Il a 55 ans. Jacqueline raconte avec humour et amour : « Il tombe amoureux de mes genoux. On s’assied sur un banc (mon père a rencontré ma mère sur un banc d’orgue). C’est le coup de foudre ! » Ils ne se quittent plus et se marient deux ans après, ont une fille, Justine. Jacqueline poursuit ses études. Elle ne veut pas travailler avec lui, mais être indépendante. Ils resteront mariés 35 ans jusqu’à la disparition du compositeur en 1995.
Psychanalyste du féminin
Après une longue formation, 7 ans d’analyse personnelle, deux supervisions dont une collective, Jacqueline devient psychanalyste. À 35 ans, elle entre à la Société Psychanalytique de Paris (SPP). Elle va participer à de nombreux séminaires et colloques dans le monde entier. Son champ de travail ? La différence des sexes et le féminin qui pose problème à cette différence. Elle écrit beaucoup d’articles et fait de nombreuses conférences sur ce thème. Il importe pour la femme de se dégager autant que possible des dépendances. Autant dans les domaines social, politique et économique, le combat pour l’égalité entre les sexes est impérieux et à mener constamment, autant il est néfaste, préjudiciable dans le domaine sexuel, s’il tend à se confondre avec l’abolition de la différence des sexes, laquelle doit être exaltée.
Jacqueline évoque l’advenue de la ménopause : « C’est la dernière étape, la plus difficile, car elle nécessite de nombreux deuils : celui de l’enfantement, celui de la jeunesse, celui de la mère archaïque et de la mère oedipienne, celui des enfants devenus grands, celui des parents disparus ou proches de la mort. Si cette période est avant tout celle du deuil de la maternité, elle ne nécessite pas pour autant le deuil du féminin, bien au contraire. »
Inlassable travailleuse, celle qui a aussi été formatrice en psychanalyse d’adultes à l’Institut de psychanalyse de Paris et en psychanalyse d’enfants et d’adolescents à l’hôpital Sainte Anne à Paris, conclut en disant : « Je continuerai tant que j’aurai de la mémoire associative ! »
Marie-Hélène Cossé
LIRE Qu’est la sexualité devenue ? De Freud à aujourd’hui livre collectif sous la direction de Jacqueline Schaeffer (In Press, 2019)
Leur patient préféré – 17 histoires extraordinaires de psychanalystes de Violaine de Montclos (Points, février 2018)
Le refus du féminin : La Sphinge et son âme en peine, postface de René Roussillon (Puf, 2013)