À ma gauche, Keiko la Japonaise, vêtue d’un long tablier marine, qui m’accueille derrière son bar, toute menue et souriante. À ma droite, Baba la Française, restauratrice de paravents japonais, fascinée par la dextérité des artistes de ce pays qu’elle ne connaît pas encore et dont elle prolonge les traditions.
♦ Mon nom est Keiko, « Keiko to moshimasu »
Originaire de Tokyo, Keiko Houea a choisi à l’école d’étudier le français seconde langue, pour le plaisir de rencontrer la culture française, son cinéma, sa littérature et son histoire, alors que les Japonais sont très attirés par la culture américaine. « La première fois, je suis venue en touriste et, pendant une semaine, j’ai visité la Tour Eiffel, le Musée du Louvre, Orsay et le Musée de l’Orangerie. Et j’ai beaucoup fréquenté les pâtisseries car j’adore les gâteaux français ! ». De retour au pays, elle travaille juste pour mettre de l’argent de côté et revenir en France. Grâce à l’Alliance française et aux associations japonaises qui aident leurs ressortissants à trouver un logement ou un emploi, elle est engagée dans un restaurant comme commis. En cuisine, elle rencontre Jonathan, chef de partie, et l’amour est au rendez-vous.
« Au Japon, la cuisine se caractérise par sa simplicité, le produit frais et rien d’autre. En France, j’ai mis du temps avant de goûter aux accompagnements. Et maintenant, j’adore le filet de bœuf ou les poissons en sauce car Jonathan est saucier. À la maison, c’est lui qui fait la cuisine française… et japonaise aussi ! ».
Aujourd’hui, comme tous les cuisiniers, il a réalisé son rêve et monté son propre restaurant*. Quant à Keiko, elle cherche sa voie et envisage d’exercer un métier manuel. « En attendant, je visite des expositions, je vais à l’Opéra, voir des ballets, des spectacles car l’art est très important pour moi et au Japon, on sort peu le soir ».
Restaurant Les Saisons – 52 rue Lamartine. 75009-Paris
♦ Baba et la passion des byöbu
Restauratrice d’arts d’Extrême-Orient, Baba Limousin travaille sur les paravents japonais anciens en papier. Une école d’art, un travail chez un antiquaire, un apprentissage pour restaurer la laque chinoise et japonaise et la rencontre inattendue avec ces paravents datés du XVIIe à la fin du XIXe siècle.
« La fabrication est magnifique, ce sont des châssis en bois, avec un matelassage fait de papiers. Autrefois, dans les ateliers, on ramassait les journaux, les essais de pinceaux, d’encre de Chine ou les calligraphies, les lavis ou les dessins préparatoires, et tous ces brouillons récupérés étaient collés sur le châssis avant d’installer des charnières en papier ».
Les artistes peignaient sur le papier à plat découpé en plusieurs panneaux qu’ils entouraient d’un galonnage de soie. Peinture à l’eau et couleurs fixées avec de la colle de daim, ces paravents servaient de portes coulissantes ou étaient posés devant un mur selon leur taille qui pouvait aller pour les plus grands jusqu’à 3,60 m de long et 1,70 de haut. « Les Japonais aimaient voir représenter les batailles de samouraïs, des fleurs, des paysages ou des geishas. Le Louvre vient d’acheter pour son musée d’Abu Dhabi, des paravents ornés de planisphères. En France, ceux qu’on trouve ont souvent été rapportés par des diplomates et leurs héritiers les font restaurer. Je fais maintenant aussi des collages en récupérant des vieux papiers japonais et, tout en conservant les techniques ancestrales, je réalise des paravents modernes aux décors figuratifs ».
Vicky Sommet