Créatrice des décors des vitrines de Hermès, la maison du Faubourg-Saint-Honoré, Leïla Menchari avait conçu un univers très personnel où, dans de petits espaces, à l’image des théâtres de poche, elle mettait en scène des ambiances où les couleurs attiraient le chaland élégant, français ou étranger, sans obligation d’achat.
L’empreinte de l’Orient
Disparue le 4 avril dernier, la vie de Leïla se résume en trois dates : 1961, elle entre chez Hermès, 1978, elle est nommée à la tête de la décoration de la maison et 2007, avec l’exposition « Hermès à tire-d’aile – les mondes de Leïla Menchari » au Grand Palais, le grand public fait sa connaissance en découvrant cinquante ans de créations réalisées pour le célèbre sellier de luxe. Originaire de Tunisie, tout comme son ami Azzedine Alaïa qu’elle avait encouragé à partir pour la rejoindre en France et travailler ensemble chez Laroche, elle comme mannequin et lui à l’atelier de couture. Issue d’une famille aisée, elle suit les cours des Beaux-Arts de Tunis, sans porter le voile.
La culture du beau
Elle réussit à convaincre ses parents de la laisser partir pour Paris et l’école des Beaux-Arts où elle sera l’élève de Chapelain-Midy. Chez Laroche, elle apprend les codes de l’élégance de la haute couture parisienne mais s’ennuie et c’est à 34 ans seulement que, venue chez Hermès pour trouver un travail d’appoint, elle entame une grande collaboration avec Jean-Louis Dumas, son Président : « Je ne veux rien savoir avant le lever de rideau ». Ainsi, quatre fois par an, elle décore seize vitrines, en mêlant artisanat et art moderne, devant lesquelles les badauds s’arrêtent, subjugués par la profusion de couleurs, de matières nobles et de créations de la maison qu’elle embellit, fidèle à la recommandation de son prédécesseur qui lui avait dit : « Dessinez-moi vos rêves ! » Ce qu’elle fera lors du lancement du parfum « Calèche » en proposant un attelage d’hippocampes tirant une calèche, qui seront bientôt remplacés par des libellules.
La démesure à sa mesure
Du Comité de la couleur de la soie de la maison, très concernée par ce textile, la base des carrés Hermès qui ont fait la renommée de la maison, elle a osé installer une grande vague sculptée en marbre ou une fresque de huit mètres, due aux orphelins de guerre du Soudan. En plus des couleurs, le bois, la corde, le cuir ou le verre, Leïla apposait toujours sa touche personnelle en ajoutant de l’or, de l’argent, du cuivre, comme si, même en l’absence du soleil à Paris, la lumière qui se reflétait sur ces matériaux, donnerait cette impression de chaleur, celle de son pays d’origine, la Tunisie. Plus tard, elle travailla aussi sur certaines collections de vêtements et pour la cristallerie, autre joyau de la maison.
Leïla Menchari est partie sur la pointe des pieds le 4 avril, avec élégance, comme elle l’avait toujours fait de son vivant.
Vicky Sommet