Marguerite Yourcenar singulière et rebelle

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Parlant d’elle même comme d’un moi incertain et flottant, Marguerite Yourcenar, reste l’une des figures littéraires les plus inclassables du XXe siècle. Perçue à tort comme froide et aristocratique, tous les personnages de ses romans¹ sont toutefois prétextes à des interrogations passionnées sur la condition humaine.

Une vie de nomade

Née de Crayencour (dont Yourcenar est l’anagramme) à Bruxelles en 1903, elle ne va cesser de nier l’importance de sa mère qui décède à sa naissance. Son père est un homme cultivé qui aime les voyages, le jeu et les femmes. Il lui fait mener une vie de nomade et ils découvrent ensemble l’Europe, dont la Grèce qui va l’attirer toute sa vie, et l’Italie, notamment la villa Adriana qui lui inspire son maître-roman, Les mémoires d’Hadrien (Prix Femina en 1952) et qui lui assure une célébrité mondiale. Cet empereur, qui déclare que « ses premières patries ont été des livres », éclaire le rôle que la littérature et l’écriture sont appelées à jouer chez elle. À 25 ans, elle inscrit « écrivain » à la case profession sur son passeport après avoir publié à 16 ans un 1er essai. C’est la crise financière en 29 qui la contraint à s’expatrier aux États-Unis et à suivre Grace Frick, qui deviendra la compagne d’une vie. Bien que n’ayant jamais fait la moindre allusion à l’Amérique dans son œuvre, elle se plaira à Petite Plaisance, le cottage qu’elles ont acheté au Nord-Est des États-Unis. Elle y vivra jusqu’à sa mort en 1987, en gardant des liens forts avec la France et l’Europe.

Une femme engagée et visionnaire²

Dans Alexis ou le traité d’un vain combat paru en 1929 alors qu’elle n’a que 24 ans, elle évoque un sujet hardi pour l’époque, l’homosexualité. L’histoire est celle d’un très jeune homme, doué mais fragile qui décide de quitter sa femme en lui avouant ses penchants homosexuels. Elle s’engage pour la défense de la planète. « On ne détruit pas la beauté du monde sans détruire la santé et même l’équilibre du monde » écrit-elle dans son livre de mémoires, Souvenirs pieux, en 1974. Dans un entretien, elle évoque à propos de la destruction de l’environnement, « un dangereux tournant car toute l’humanité est concernée ». Elle s’implique pour la défense du non-humain. Outre son amour des chiens, elle ira jusqu’à rendre visite à Brigitte Bardot en 1968 afin de mener un combat commun contre les tueries des bébés phoques. Enfin, son intérêt pour le mouvement d’émancipation des Noirs est tel, qu’elle éprouve pour les Negro spirituals, qu’elle a traduits, respect et admiration au point de les situer « parmi les grands témoignages humains ». La littérature noire était bien présente dans la bibliothèque de Petite Plaisance.

L’entrée à l’Académie Française

En mars 1980, bien que non-candidate revendiquée, Yourcenar sera la première femme à entrer à l’Académie Française. Jean d’Ormesson fut l’artisan de cette élection. Il racontera les résistances féroces des membres à la simple idée d’élire une femme. « On ne change pas les règles de la tribu » dira Lévi-Stauss. Finalement, c’est la pression de l’opinion publique qui fera plier l’institution. Toutefois, Yourcenar adoptera une position modeste dans son discours inaugural³, ne remettant pas en cause de manière frontale « le retard » de l’Académie à l’égard des femmes. S’inscrivant dans la tradition littéraire de  Madame de Staël, George Sand et Colette, elle  y revendique son entrée en tant qu’écrivain plus que de femme. « (..) Je suis tentée de m’effacer pour laisser passer leurs ombres. » Indifférente aux honneurs et vivant aux États-Unis, elle ne fréquentera guère le Quai Conti pendant le reste de son existence.

Tellement classique dans sa manière d’écrire et de s’exprimer, à la limite du snobisme4, Marguerite Yourcenar était pourtant d’avant-garde dans sa pensée et indépendante dans sa façon d’agir.

Michèle Robach

¹Les personnages principaux de ses romans Alexis ou le traité d’un vain combat, Les mémoires d’Hadrien, Zénon dans L’œuvre au noir, Nathanaël dans Un homme obscur.
²Ce mot est utilisé dans une « entrée » de l’ouvrage d’Henriette Levillain, « Yourcenar, carte d’identité » (Fayard, 2016).
³Voir son discours d’intronisation à l’Académie Française en mars 1980.
4Josyane Savigneau, « Marguerite Yourcenar, l’invention d’une vie » (Folio, 1964).

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