Odile Fillion : lui c’est lui, moi c’est moi !

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Abandonner la caméra et quitter son statut de journaliste pour s’occuper de Jean Nouvel Design, Odile Fillion a osé franchir le pas. Comment s’immerger totalement dans le cerveau d’un grand créateur, anticiper ses attentes tout en préservant ses propres territoires et champ d’action ?

Profession journaliste. Odile Fillion a toujours été attirée par les images et par l’écriture et le hasard a fait qu’elle est entrée comme journaliste d’abord dans une revue de design Créer, puis a enchaîné avec Le Moniteur de l’Architecture où elle tenait une rubrique hebdomadaire de huit pages pendant les années Mitterrand si riches en créations artistiques. Ce titre s’adressait aux métiers de la construction mais, avec 400.000 lecteurs, ce journal centenaire avait su heureusement étoffer ses contenus. « J’avais une vision très superficielle de ces métiers, je ne m’intéressais pas aux plans, mais j’étais très admirative de ces créateurs, ce qui se traduisait plus par une relation avec des « poètes » qu’à une compréhension des phases conceptuelles de leurs travaux ».

La rencontre. À ce moment-là, les architectes français avaient la cote, même à l’international. « C’est là que j’ai commencé à les filmer, à monter des vidéos. J’étais fascinée par leur capacité à créer des univers et à raconter leurs fantasmes qui prenaient corps. Jean Nouvel, lui, veut prolonger l’univers de l’architecture dans le design. Il n’est pas dans la mode, mais il choisit des matières et des couleurs qu’il aime comme s’il avait des  madeleines de Proust  partout dans sa tête ! ». Après avoir tourné un film pour la série Empreintes de France 5, Jean Nouvel demande à Odile Fillion de prendre la tête de sa société de design pour lui donner une nouvelle impulsion. Détachée de l’entité architecture, il s’agissait de lui redonner son autonomie. Elle qui n’avait jamais été chef d’entreprise avoue au départ n’avoir pas très bien compris ce qu’il attendait d’elle.

Raconteuse d’histoires. Odile Fillion a commencé par étudier ses projets, organiser la communication, installer un nouveau site et partant du constat qu’il fallait s’occuper à la fois de design, de scénographie et d’architecture intérieure, elle a entrepris de monter « des histoires », autant pour gagner sa confiance que celle des éditeurs en charge de la fabrication.

« Moi je ne sais pas dessiner, avec mon équipe, nous sommes là pour être les interprètes de sa pensée et pas question pour aucun d’entre nous d’avoir un ego, un peu comme dans les ateliers d’autrefois où l’artiste connu était entouré d’une pléiade de peintres qui travaillaient pour le maître. Le jeu consiste à posséder la même culture que lui, à comprendre ce qui lui passe par la tête, avec le risque qu’il change parfois d’avis, voire à anticiper sur sa pensée … et on se trompe souvent !!! ».

Le souci du détail. Jean Nouvel est un homme responsable. « Il vérifie tout pour qu’aucun détail ne lui échappe. Il veut toujours perfectionner et améliorer ses créations, comme ces meubles qu’il a conçus pour l’inauguration de la Fondation Cartier en 1994, la gamme Less en acier et bois très lourds, qu’il a fait évoluer avec un nouveau matériau plus léger, l’aluminium (Less Lesss). Pour l’exposition qui lui sera consacrée en octobre 2016 au Musée des Arts Décoratifs, nous avons choisi plus d’une centaine d’objets qui vont du bracelet au canapé, du sac aux chaises ou des chaussures aux tables, en sachant que chaque création demande entre 6 mois et un an pour exister ».

Jean Nouvel, un chai d’œuvre. « Lorsqu’on lui demande de dessiner un objet, il se met en « position d’ordinateur » et il fléchit longtemps. Mais il est disponible, toujours prêt à travailler et nous donner des pistes pour rentrer dans son univers poétique … et pas du tout industriel ! ». Jean Nouvel n’est jamais dans la nostalgie et se veut être un acteur du monde d’aujourd’hui en créant des objets contemporains. « Dans le chai du Château La Dominique dans le Bordelais, une très ancienne propriété, il a créé un nouveau chai et l’a décoré d’un lustre qui représente une grande grappe de raisins constituée de 120 boules rouges. Mais c’est souvent une fois réalisé et installé que l’objet existe par lui-même, surtout s’il n’y a pas de prototype et qu’il s’agit d’un objet unique. Moi, j’aime créer des évènements, comme lors du Salon de Milan où j’ai fait un film, préparé des vidéos, écrit sur l’univers du bureau et mis en place le catalogue. Lui, c’est lui, et moi, c’est moi ! ».

Si lui est un artiste, elle est un artisan, avec des univers qui se croisent, se rencontrent, s’écartent parfois, mais se rejoignent toujours à un moment ou à un autre du processus de réalisation d’une création design de Jean Nouvel.

Vicky Sommet

Jean Nouvel Design

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