Médiatisé par le psychiatre Boris Cyrulnik, le concept de résilience, mesure la capacité à résister suite à un traumatisme. Marceline Loridan-Ivens et Simone Veil illustrent à quel point ses ressorts peuvent porter très haut des êtres qui ont pourtant vécu l’insoutenable.
Égales dans la souffrance
Simone et Marceline, toutes deux rescapées des camps, se sont connues à Auschwitz¹. Marceline, née Rozenberg est d’une famille modeste originaire de Pologne. « Nous avons été élevés à la dure, sans chauffage, il faisait froid dans les Vosges l’hiver. Ça m’a servi… » Elle sera arrêtée avec son père par la Gestapo à l’âge de 15 ans. Simone, née Jacob, est d’une famille juive aisée. Elle sera arrêtée à l’âge de 16 ans avec sa mère et sa sœur. Marceline dira : « Nous n’étions pas du même monde, elles et moi. Les Jacob étaient des Israélites, des bourgeois dont les ancêtres avaient été francisés par Napoléon ; moi j’étais une Juive polack. Mes parents étaient des immigrés. Nous étions toutes égales dans la souffrance. » Simone avec sa mère et sa sœur, Marceline avec son père vont quitter la France dans le même convoi. Elles resteront liées à vie.
Un instinct de vie hors du commun
Débarquant des wagons, des voix d’anciens déportés glissaient aux arrivants : « Dis que tu as 18 ans » ; « Donne ton enfant à un vieillard » ; « Dis que tu voyages seule »… Il fallait comprendre vite. Marceline cache ses quinze ans. Simone sera sauvée grâce à son esprit frondeur. Une Kapo l’interpelle « Toi, tu es trop belle pour mourir. Je vais faire quelque chose pour toi ». Simone lui répond : « Mais je ne suis pas seule, je suis avec ma mère et ma sœur. » Elles furent transférées loin des gaz. Ce qui les a sauvées est sans doute leur résistance à ce qu’Arendt appelait la « désolation »². Malgré la vision et l’anticipation constante de la mort, l’extrême hostilité qui menaçait leur vie comme la torture, le travail forcé, elles se sont rattachées à leurs espoirs (dans le cas de Marceline celui de revoir son père³ ou aux liens (ce fut le cas de Simone).
Après les camps, des stratégies lucides de faire-face
Marceline se lance dans l’écriture et le cinéma engagé. Elle découvre le sort des ouvriers algériens mal payés que l’on tutoie ce qui lui rappelle sa condition de « stuck », de chose, que les nazis imposaient dans les camps. Elle choisit de les défendre, s’engage dans l’action politique aux côtés du FLN4. En 2003, elle réalise un documentaire5 dont l’action se déroule à Auschwitz. La vie de Simone Veil est liée à trois grands évènements du 20e siècle : la Shoah, l’émancipation des femmes6 et l’espérance européenne7. Elle œuvre sans relâche en faveur de la mémoire du génocide8 et salue en 1995 Jacques Chirac, qui reconnaît pour la première fois la responsabilité de la France dans la déportation des Juifs9.
Certains rescapés des camps ont été écrasés pour toujours. Les résilients y ont puisé une stupéfiante énergie, comme si le fait de défendre des idéaux constituait une victoire sur le nazisme. Simone Veil et Marceline Loridan-Ivens font partie de ceux-là.
Michèle Robach
¹En fait Auschwitz-Birkenau, Birkenau était le camp des femmes, voir page 8 dans « Et tu n’es pas revenu » (Ed. Grasset, 2015).
²Hannah Arendt souligne la « désolation » comme expérience constitutive du système totalitaire dans « Les Origines du totalitarisme », le sentiment d’une radicale perte d’appartenance au monde.
³« Et tu n’es pas revenu » Grasset 2015, roman de Marceline Loridan-Ivens consacré à son père assigné dans un autre camp.
4Front de Libération Nationale, parti politique algérien créé en octobre 1954 pour obtenir de la France l’indépendance de l’Algérie, alors divisée en départements français d’Algérie.
5« La petite prairie aux bouleaux » avec Anouq Aimée.
6Loi sur l’avortement en 1975.
7Présidence du Parlement Européen en 1979.
8 Présidence de la Fondation pour la mémoire de la Shoah de 2000 à 2007.
9Archive INA, 1995.
