Aimer l’autre sans se perdre soi

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Comment conjuguer amour de soi et amour de l’autre ? Existe-t-il un modèle de rencontre réussie qui permette de réconcilier liberté et indépendance, sexualité et tendresse, dépasser l’opposition du corps et du coeur ? Ce sont les questions auxquelles Nicole Jeammet¹, psychologue, a répondu devant un parterre de Paroles de femmes.

De l’excès de sacrifice à l’individualité forcenée

Autrefois les femmes étaient bien souvent dans un excès d’idéal sacrificiel de soi. Il s’agissait d’avoir une belle âme, de préserver une image parfaite de soi et de son couple sans se demander par exemple pourquoi l’homme qui vous quittait était parti chercher ailleurs une meilleure image de lui-même. Or, nous sommes toujours partie prenante. Ne pas voir et savoir pour ne pas souffrir ? Cela n’a plus rien à voir avec l’amour. S’aimer c’est porter un projet, espérer possible l’alliance dans la durée, la réciprocité qui lie deux histoires pour en créer une nouvelle.

« Sois douce, sois bonne et tu auras la conscience tranquille. » dit Adeline à sa fille dans Balzac

Nous sommes passés aujourd’hui à l’extrême inverse. Chacun veut réussir sa vie individuellement en étant libre, avec les diktats de la réussite et du temps. Nous vivons dans un monde fragile, en quête d’image parfaite, où il est difficile d’inscrire l’amour dans la durée et si facile de changer de vie ou de cliquer sur internet à la recherche d’un nouveau partenaire. Si le plaisir est notre seul but, comment réconcilier la vie à deux qui génère de multiples contradictions ? « Pour le meilleur sinon tant pis ! » comme le dit Bruckner… 

L’indispensable travail de séparation

Quand je vis un coup de foudre, je me vois toute belle, aimée, sans territoire à défendre, dans un sentiment de fusion totale, comme dans le regard maternel. Puis viennent les deux poisons du couple : l’idéalisation et le besoin de s’approprier l’autre. Et c’est là que le quiproquo s’installe ! Les blessures narcissiques sont de véritables entraves à la relation. Il convient de défaire l’illusoire complétude avec cet autre idéalisé avec qui on voulait fusionner pour pouvoir créer une vraie relation.

« Je l’aime de tout mon vide. » Annie Ernaux

Comment est-il possible de se séparer en gardant le lien, comment passer de la peur à la confiance, partager le plaisir ? La confiance est une co-construction. Plus je développerai mes talents, plus je trouverai l’estime de moi qui va développer cette confiance et me permettre de trouver ma place et la respecter chez l’autre, plus je serai capable de tisser d’authentiques liens et m’abandonner dans cette mutualité acceptée. « Aujourd’hui encore, même à mon âge, j’ai besoin d’apprendre la déprise. » avoue Nicole Jeammet…

Quatre pistes à explorer pour aimer sans se perdre

♥ Apprendre la compassion envers soi-même et envers l’autre. Que sait-on du poids des transmissions génétiques ? Tout n’est pas modifiable, certaines limites sont indépassables… Donner du temps à la maturation.
♥ Ce n’est pas l’autre qui me fait mal, mais moi qui attends toujours autre chose, me complais dans l’insatisfaction au lieu de remercier pour ce que je reçois.
♥ Toute épreuve est à surmonter à deux. Il faut oser le conflit, demander à l’autre de s’expliquer sur ce qu’il a fait, entendre cette parole, car on ne dit pas les mêmes mots sur les mêmes choses.
♥ Développer ses potentialités, faire fructifier ses talents pour assumer sa solitude : plus je libère ma dépendance, plus je conquiers mon indépendance, plus je trouve ma place auprès de l’autre, unique parce que différente. Moins j’ai besoin de l’autre, plus je peux tisser d’authentiques liens.

Marie-Hélène Cossé

¹Nicole Jeammet, maître de conférence honoraire en psycho-pathologie, enseignante au centre Sèvres.

Amour, Sexualité, Tendresse : la réconciliation ? de Nicole Jeammet (Odile-Jacob, 2005).
Lettre aux couples d’aujourd’hui, les nouveaux défis de la vie à deux de N. et Ph. Jeammet (Bayard, janvier 2012).

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