Le parfum n’a pas de genre

0

Jean-Claude Ellena est affirmatif : le parfum n’a pas de genre. C’est la personne qui porte le parfum qui le donne. Grâce à son nez et à sa mémoire ce « compositeur de parfums », comme il aime se nommer, en a créé un très grand nombre de célèbres, dont une quarantaine chez Hermès.

Les odeurs sont culturelles

Le parfum n’a pas de genre. Oui, mais… il se vend des parfums pour les deux sexes. Pour des raisons économiques et sociales la création masculine-féminine remonte au 19è siècle. Ainsi, les femmes choisissent principalement un parfum pour se projeter ou pour se protéger et pour séduire, le parfum devenant une parure. Les hommes surtout par hygiène et aussi comme statut social. Quant aux odeurs, elles sont culturelles. Nous sommes choqués par l’odeur de la civette qui sent l’excrément. Ce sont les parents qui inculquent cette notion aux enfants. Au Mali l’odeur de la civette attire les hommes quand les femmes s’en parfument. Chaque individu sent en fonction de sa propre connaissance, de sa culture, de ses choix personnels et de ses origines. Au Moyen-Âge la civette était utilisée pour relever les sauces des gibiers. Chez les Inuits on se lave les cheveux à la « pisse », cette odeur devenant synonyme de propre chez eux…

« En combinant nature et chimie j’ai créé « Terre » (2006) de chez Hermès, un des premiers parfums du marché mondial qui va aussi bien aux hommes qu’aux femmes. Et ensuite j’ai gagné un prix avec « Le jardin de M. Li » (2015), un parfum qui prend le genre de la personne qui le porte. C’est une référence à la Chine dont je suis amoureux ». Jean-Claude Ellena

« J’aime me promener pour créer », déclare en substance Ellena. « Raconter un paysage d’Irlande, par exemple avec un piquet qui représente l’homme. » C’est ce que l’on nomme la verticalité en langage de parfumeur. Le bois de cèdre est vertical alors que le santal est horizontal. Cette notion de verticalité est difficile à conceptualiser. Pour le néophyte, cela prend des années, mais les parfumeurs se comprennent entre eux. Enfant notre compositeur de parfums faisait des étincelles avec les pierres cela donnait une odeur dure, minérale c’était sa verticalité, son silex de gosse.

Le futur, c’est la chimie

Le futur en parfumerie, c’est la chimie, selon Jean-Claude Ellena. Cela évite de sacrifier des animaux en voie de disparition. Ainsi, aujourd’hui le musc est de synthèse et largement utilisé. Il s’insère dans la peau pour que l’on s’approprie le parfum et que chacun puisse dire « il sent moi ». Et puis le cerveau, par un phénomène d’accoutumance, oublie son odeur pour ne pas disjoncter. Donc on ne se sent plus. Par ailleurs, il faut savoir que dans la nature une rose comporte 400 molécules. Jean-Claude Ellena la compose en deux molécules. D’une manière générale on trouve 80 essences naturelles en parfumerie. La durée d’une eau de toilette est de 6 heures, celle d’un parfum de 9 heures. En parfumerie, on a deux secondes pour accrocher ou non le consommateur.

Alors en définitive, même si le parfum n’a pas de genre, il n’en demeure pas moins que certaines odeurs plaisent plus aux femmes qu’aux hommes et vice-versa.

Isabelle Brisson
Mid&SudOuest

Jean-Claude Ellena, né en 1947 à Grasse, entre en parfumerie en 1963. Il devient responsable des parfums chez Hermès en 2004 jusqu’en 2016. Il publie Le Parfum (Que sais-je ?) et en octobre 2017 L’Écrivain d’odeurs (Le Contrepoint).

L'article vous a plu ? Partagez le :

Les commentaires sont fermés.