Notre génération Mid&Plus a été élevée majoritairement par des pères à l’image patriarcale forte, souvent exigeants, à l’affection parfois très distanciée, rien à voir avec l’image moderne. Dimanche prochain, ce sera leur fête. Voici six histoires de couples pères-filles, sereines ou pas…
♦ Groucho Marx et sa fille Miriam
par Christine Fleurot
Dans la fratrie Marx, Groucho est celui que l’on identifie grâce à sa pilosité charbonneuse et à son inséparable cigare. Miriam, issue de son premier mariage avec une choriste du nom de Ruth Johnson était sa fille aînée. Il entretint avec elle une correspondance, tendre et pleine d’humour, ininterrompue de 255 lettres de 1938 à 1967. Elle reçut donc la première à l’âge de 10 ans et leurs liens se renforcèrent particulièrement au moment du divorce de l’acteur alors qu’elle atteignait ses 12 ans. En 1954, en père attentif il décela la fragilité de sa « chère Mir » et ses penchants pour l’alcool (à l’instar de sa mère) et il fit tout pour lui trouver un environnement médical adapté. Après la mort de Groucho en 1977 et une longue bataille de succession familiale, Miriam Marx Allen se confronta aux éditeurs réticents à publier ces lettres gardées précieusement, hommage à ce père aimant, celui qui avait toujours répondu présent pour elle.
« Joyeux anniversaire et cesse de vieillir. Tu finiras par le regretter »
Lettres de Groucho Marx à sa fille Miriam – 1995- Seuil-Collection Points.
♦ Guy Béart, Eve et Emmanuelle
par Marie-Hélène Cossé
« Il va être content le père Guy. Et cet homme est mon père. Et je suis sa fille d’aujourd’hui. » dit Emmanuelle Béart à l’occasion de la sortie du double album que sa soeur Eve et elle ont sorti le 15 mai en honneur à leur père disparu il y a bientôt 5 ans. Celle qui a toujours appelé son père « Guy » ou « mon père » mais jamais « Papa », pour marquer le rapport adulte qui les a toujours liés, a réuni les voix d’une vingtaine de personnalités qui ont accepté de revisiter les grands titres du chanteur. Alain Souchon, Laurent Voulzy, Julien Clerc, Christophe, Thomas Dutronc, Maxime Le Forestier, Vianney, Carla Bruni, et bien d’autres encore rendent ainsi hommage à celui dont sa fille dit encore : « Pour moi mon père est une énigme absolue et une des solutions pour résoudre cette énigme est d’écouter ses chansons puisque c’est ce qu’il a laissé. »
CD De Béart à Béart(s) 2 albums paru le 12 juin 2020.
Sources : Le Journal des Femmes Stars (4/6/2020) et la bande officielle de la vidéo.
♦ Bernard Giraudeau et Sara, une relation tumultueuse
par Vicky Sommet
Deux personnalités, d’un côté, un comédien et metteur en scène confirmé, de l’autre, une jeune comédienne qui veut suivre ses traces. « Quand j’ai fait part de ma vocation, la seule chose que mon père a faite de négative, c’est le silence. »* Sara évoque un homme « insupportable, coléreux, impatient ». Leurs rapports se sont améliorés lorsqu’il a appris sa maladie. « Il est devenu plus ouvert. Il a appris à aimer. » Il n’a pas assisté à ses premiers succès. « Je sais qu’il aurait aimé profondément Le bureau des légendes ou Petit paysan. À 25 ans, j’étais un petit œuf en train d’éclore, il est parti quand la maturité arrivait. »
*Source Paris-Match.
♦ Jacques Chirac et Claude, la fille de l’ombre
par Michèle Robach
Aux côtés de son père à la mairie de Paris, proche du candidat à l’élection présidentielle et conseillère durant deux mandats à l’Elysée, elle a joué un rôle actif dans la relation fille-père, mais toujours effacée et résistant activement contre toute tentative d’intrusion extérieure. Si bien qu’au final, on en sait peu sur celle qui a voulu se faire très discrète et dissocier sa vie personnelle de celle de fille de… On sait que le père et la fille se tutoient alors que Jacques vouvoie sa femme, qu’elle est sa complice, qu’ils partagent le même goût de l’humour et de la dérision, d’après Nicolas Hulot qui a les a fréquentés. C’est également une travailleuse acharnée comme lui. Elle le reconnaît : « Nous sommes tous deux sagittaires. » Au final, elle sera l’ombre de son père à partir de 1989, hors hiérarchie, hors agenda et titre officiel. Lors d’une conférence de presse, alors que le président est assailli de questions par les journalistes, c’est un « chut » saisi sur le vif par une caméra qui montre la force du lien qui les unit. Qui d’autre aurait osé ?
♦ Serge Reggiani, Carine, Maria et Célia, un océan de musiques entre elles et lui
par Anne-Claire Gagnon
Derrière la voix à nulle autre pareil de Reggiani, son charme et ses textes, écrits sur-mesure par des auteurs qui ont ciselé chacune de ses strophes, on découvre, au-delà de « Ma fille mon enfant », écrit pour Carine, l’absence d’un père, les échardes dans le cœur de ses filles. Car on peut être le père rêvé de ses fans sans être le papa attendu par ses enfants, manquer à ses filles tout en chantant et transcendant sublimement « L’absence ». Et inspirer, après son dernier souffle, le message que seule une enfant blessée peut chanter à son père, « Je ne t’en veux plus ». Un message à la résonance universelle, merci Célia.
♦ Victor Hugo et Léopoldine
par Anne-Marie Chust
Léopoldine est la fille aînée de Victor Hugo (il a eu cinq enfants¹), avec qui il eut une relation fusionnelle et qui mourut très jeune. De cette mort, apprise au cours d’un voyage avec sa maîtresse Juliette Drouet (le grand homme avait une vie passionnée et complexe à la hauteur de ses inoubliables écrits), il dira : « On m’apporte de la bière et un journal, Le Siècle. J’ai lu. C’est ainsi que j’ai appris que la moitié de ma vie et de mon cœur était morte. » Ce drame bouleversera tant Victor Hugo que, pendant de nombreuses années, il n’écrira plus aucun livre et poème. Parmi ces cinq enfants, seule sa dernière fille Adèle, lui survivra, « pensionnaire » d’un asile psychiatrique. Une maladie inscrite dans les gènes familiaux. On dit aussi qu’Adèle a été en partie conduite à l’internement par la mort de sa sœur. Quelle culpabilité pour Victor Hugo ! Le seul enfant qui lui laissera une postérité sera Charles, mort avant lui, et dont il recueillera les deux enfants. Pour ceux-ci, il publiera « L’art d’être grand-père »² mais ceci est une autre histoire et une autre fête…
Pourquoi ai-je pensé à lui et sa fille ? Peut-être parce j’ai dû copier une centaine de fois pendant une heure de colle un poème issu des Contemplations, « Demain dès l’aube », et cette dernière strophe qui m’avait particulièrement touchée :
« Et dire qu’elle est morte ! hélas ! que Dieu m’assiste !
Je n’étais jamais gai quand je la sentais triste ;
J’étais morne au milieu du bal le plus joyeux
Si j’avais, en partant, vu quelque ombre en ses yeux. »
¹Les enfants : Léopold 1823-1823, Léopoldine 1824-1843, Charles 1826-1871, François-Victor 1828-1873, Adèle 1830-1915.
²« L’art d’être grand-père » : Recueil de 27 poèmes publiés en 1877.