Pour la philosophe, Julia de Funès, dans son dernier livre au format numérique*, le télétravail serait « une domestication » du travail qui permettrait à celui-ci de retrouver tout son sens. Il sera « impossible » de revenir en arrière après la crise. Qu’en est-il ?
Se voir moins nourrit la ferveur du collectif
Ce télétravail généralisé pendant la crise a permis de repenser le travail. Julia de Funès veut croire en un élan possible vers l’autonomie, l’audace et la solidarité et pense que sa banalisation annonce une société fluide, dispersée mais pas moins solidaire et créatrice de liens. II a été généralement admis (et j’en suis le témoin direct avec ma fille, confinée avec nous, qui a assuré une clôture d’exercice comptable et fiscal à distance pendant le confinement) que les salariés étaient plus efficaces en télétravail : gain de temps dans les transports, moins de représentation permanente, plus de concentration. Par ailleurs, si les réunions virtuelles laissent planer le doute sur la qualité des relations sociales qu’elles permettent, le présentiel n’offre pas plus de garanties. Au contraire, le télétravail va rendre les moments avec les autres attendus, voire désirables, puisqu’ils ont été d’autant plus suspendus et virtualisés. Nous aurons besoin de nous retrouver, à une autre fréquence, mais avec une intensité d’autant plus qualitative qu’elle aura été moins quantitative.
« Pas de jusqu’au-boutisme sur le télétravail : après le confinement l’idée est de télétravailler une à deux journées par semaine, ce qui permet de revenir au bureau les autres jours. »
Julia de Funès reconnait aussi les problèmes qu’il peut soulever en matière d’inégalités sociales notamment mais il serait trop simpliste de ne le considérer qu’au travers de la loupe : télétravail = problème de riches parce que deux tiers des cadres peuvent en effet le pratiquer. On a bien des contre-exemples, comme les chirurgiens, les pilotes de ligne, les footballeurs et bien d’autres qui apportent la preuve du contraire des salaires pour le moins confortables mais impossibilité de travailler à distance. À l’inverse, une assistante, un téléconseiller etc. pourra exercer sa mission depuis chez lui. C’est donc plutôt le secteur d’activité qui définit la possibilité de télétravailler et c’est par l’innovation et un sens du collectif que chacun pourra y trouver son compte.
Comment redonner tout son sens au travail
Ce sens collectif doit être donné aussi bien par l’État que par les entreprises : trouver une raison sociale, sociétale ou environnementale à leurs activités, et également à fournir l’organisation opérationnelle et le matériel et l’équipement adéquat (expérience vécue également pour ma fille, une tablette ne remplace pas un « vrai » ordinateur). Et puis il y a le sens individuel que chacun met dans son travail. Tout l’enjeu pour les managers aujourd’hui est de parvenir à concilier pour un temps ces deux sens et lutter contre la porosité entre vie personnelle et vie professionnelle.
Cette porosité qui concerne surtout les femmes
Effectivement, certaines études semblent confirmer que les femmes sont plus affectées par le télétravail au niveau de la charge mentale, mais pas seulement. Le confinement nous a « condamnés à être libres ».* Or, les femmes assument généralement plus difficilement que les hommes cette liberté. Le confinement a donc creusé les écarts entre des hommes, habitués à faire des arbitrages, et des femmes, tétanisées à l’idée de devoir renoncer à des activités aussi essentielles que leur travail ou l’éducation de leurs enfants mais qu’il n’était pas possible de faire en même temps. Cependant, le télétravail déplace le travail et lui redonne sa juste place, il revient au centre du foyer, et, en quelque sorte, perd de son prestige « aristocratique ». Il devient une activité parmi d’autres et non plus celle qui prend le dessus sur toutes les autres.
Grâce au télétravail, le travail reprend du sens car il n’est plus qu’un moyen au service de la vie et non une fin en lui-même. Nous avons toutes des exemples en tête d’hommes prenant leur juste part dans l’éducation des enfants et les tâches quotidiennes pendant cette période de télétravail en commun….
Anne-Marie Chust
*Jean-Paul Sartre
*« Ce qui changerait tout sans rien changer » – Julia de Funès (Édition de l’Observatoire – mai 2020).