Rungis : une nuit au frais

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« Rendez-vous à 4h00 du mat’ au Bar de la Marée à Rungis ! » La proposition est audacieuse, mais décrypter le mystère de la vie nocturne du MIN de Paris est séduisant non seulement pour les gourmands, mais aussi pour les curieux soucieux de découvrir tout un monde économique qui régit non seulement notre assiette, mais aussi celle d’une bonne partie de la planète.

Les camions frigorifiques roulant à tombeau ouvert dans la lumière blême du petit matin évités, un café sur le comptoir sifflé, une blouse blanche endossée et une charlotte seyante sur la tête vissée, top départ pour une visite dans les coulisses réfrigérantes du plus grand marché de produits frais du monde.

Premier contact, celui de la Halle aux poissons et crustacés, dans une ambiance presque clinique, car ici l’hygiène est de rigueur (paillettes de glace, polystyrène spécial, nettoyage régulier…). De la buée et des bacs émergent là l’œil vif d’un saint-pierre, d’une bonite, d’un saumon, ici la queue frétillante d’un homard bleu. 400 tonnes de produits par jour partent vers nos poissonneries et les tables de restaurants. Au A4, le plus grand port de France, jamais d’invendus !

Accrochez bien votre estomac, le secteur Triperie et Produits carnés vous ouvre ses entrailles. Comme le souligne une participante à l’œil artistique « Ici on pense à Soutine ou Chardin ». Le scénario « 3 minutes chrono » de la confection d’une tête de veau emmaillotée dans son filet nous est dévoilée. Un professionnel de la race parthenaise (la plus tendre !), la blouse carminée, nous fait voyager avec fougue et accent dans la géographie d’une carcasse.

 

Une pause plus bucolique ? Filons au Marché aux fleurs qui voit de jour en jour réduire son pré carré. Quelques rares producteurs français résistent à l’invasion hollandaise venue d’Éthiopie, du Kenya et d’Amérique latine où les terrains sont achetés par des fonds de pension et les fleurs cultivées et ramassées par une main-d’œuvre bon marché puis livrées par avion et stockées en chambre froide ! Pivoines rondes et serrées comme des balles de ping-pong, renoncules froufroutantes, anémones au cœur charbonneux, tulipes en feu en ce printemps embaument le pavillon.

Neuf bâtiments sont dédiés aux fruits et légumes. Vélos, diables et chariots-élévateurs vont et viennent dans un ballet incessant rythmé au son des klaxons. Les fruits rouges, les tomates font timidement leur apparition et aspirent à gagner en couleur et en parfum. Des fruits exotiques aux physiques intrigants en interrogent plus d’une : « Ça se mange comment ? Avec la bouche, Madame, et les plus audacieux l’utilisent en suppositoire ! » La gouaille et la bonne humeur des Halles à l’ancienne perdurent…

 

Puis, direction la fromagerie pour clôturer cette immersion au cœur de la gastronomie française où là encore quelques indépendants survivent courageusement face à l‘intransigeante grande distribution. Des petits chèvres attendent patiemment d’être tournés à la main en salle d’affinage, des meules de Comté de 80 kg appellent à la caresse, de surprenantes tommes à la croûte florale et des Brillat-Savarin à la truffe titillent nos narines et notre canif de poche.

L’appétit aiguisé pour certains, rétréci pour d’autres, on se retrouve devant une assiette de fromages et de charcuterie pour un debriefing façon Élise Lucet. Une chose est certaine c’est qu’il faut s’efforcer désormais d’offrir des bouquets labellisés Fleurs de France, qu’il faut consommer des fruits et légumes de saison, vérifier l’origine et la traçabilité des produits pour ne pas approfondir la dépendance économique de pays déjà appauvris et préserver bec et ongles ce savoir-faire hexagonal. On peut être gourmet mais on se doit d’être un consommateur responsable et consciencieux. Cette visite dans le ventre de ce temple de la consommation est une bonne piqûre de rappel.

Christine Fleurot

Informations pratiques 
Visite guidée du Marché International de Rungis

– Les achats sont réservés uniquement aux grossistes et aux détenteurs de la carte Rungis.
– S’équiper de vêtements chauds et de bonnes chaussures.
– Un équipement d’hygiène (blouse et charlotte) obligatoire est fourni.
– Compter au minimum 3h00 de visite.
– Possibilités de finir par un brunch ou plus dans de nombreux restaurants sur le site (La Marée, L’Etoile).

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