L’emprise est un vaste sujet au coeur de l’actualité. Dans tous les cas, il s’agit d’une violence psychologique qui s’exerce à l’égard d’individus. Davantage connue depuis l’émergence de la psychanalyse, l’emprise est insidieuse avec un grand potentiel destructeur pour ceux ou celles qui en sont victimes. Comprendre pour s’en déprendre.
Un agencement complexe, pervers de la relation à l’autre
Il existe un registre de trois étapes essentielles¹ par lesquelles on passe dans l’emprise :
♦ l’appropriation par la dépossession (mainmise sur l’autre par des stratégies de séduction ou de force),
♦ la domination (exercice d’un pouvoir afin d’obtenir une soumission, une dépendance de l’autre) et enfin
♦ l’étape la plus spécifique de l’emprise, l’empreinte ou inscription d’une marque, soit le résultat de la domination ou de l’appropriation.
L’autre est réduit au statut d’objet. L’emprise du pervers peut être le plus souvent décrite comme séductrice, agissant par la ruse du désir, le pervers se situant face à autrui en position de savoir², de recherche de toute puissance, visant la destruction psychique et physique de l’autre (pervers narcissique).
Un phénomène au cœur des violences au sein du couple
Pendant longtemps, le comportement de certaines femmes victimes de violences qui retournaient auprès de leurs bourreaux suscitait l’incompréhension. On a parlé de domination et de manipulation, mais l’emprise, qui constitue le socle des violences psychologiques, est l’une des raisons majeures de cette ambivalence des femmes. L’emprise entraîne une situation de soumission et une très grande dépendance affective. Les victimes vont être dans l’impossibilité de parler, faire savoir dénoncer les situations subies et s’en extraire par crainte³, épuisement, passivité, honte, résignation, vulnérabilité, abandon4. « L’emprisé » vit un rétrécissement de son champ d’action, de perception, de possibilités qu’il ne perçoit pas forcément puisque par essence, l’emprise brouille son sens critique. Sous la poussée des associations5, et suite à des dénonciations de femmes qui ont raconté le cauchemar d’expériences personnelles sous emprise6 avec des conjoints manipulateurs, cette notion est enfin entrée dans l’espace public.
Une entrée dans le champ juridique
La loi sanctionnait déjà les violences psychologiques au sein du couple. Désormais, depuis Le Grenelle des violences conjugales (fin 2019), l’emprise sera prise en compte par la justice. Parmi les treize mesures judiciaires retenues dans le cadre du Grenelle contre les violences conjugales, pas moins de quatre font mention de la notion d’emprise. Le Premier Ministre de l’époque, Edouard Philippe l’a défini en ces termes : « C’est un enfermement à l’air libre. On va dire à ces femmes vous n’êtes pas responsables de ce qui vous arrive. » Les nouvelles dispositions vont mettre fin aux dysfonctionnements du côté de la justice et de la police qui pouvaient juger ambivalents les comportements d’une victime (quand elle refusait de porter plainte ou retirait sa plainte par exemple) comblant ainsi un important retard face à d’autres pays7. Certaines mesures étaient réclamées depuis très longtemps par les associations8.
Comprendre les mécanismes de l’emprise permet de s’en déprendre (emprise-déprise dont parle Vanessa Spingora) et donc retrouver son libre arbitre et se reconstruire. Force est de constater que la société est de moins en moins ignorante et indifférente à ce phénomène, même si cette évolution est très (trop) récente.
Michèle Robach
¹Tel que défini par Roger Dorey (1929-2020), psychiatre, psychanalyste et universitaire français, spécialiste de la notion d’emprise.
²Un expert psychiatre réputé saisi par la justice a estimé que les principales accusatrices de Tariq Ramadan ont, en partie sous “emprise”, accepté d’avoir des relations intimes avec l’islamologue, mais n’ont pas consenti aux actes sexuels d’une “extrême violence” qu’il leur a fait subir. Cette dimension d’emprise est vivement contestée par la défense.
³Si tu me dénonces, je te quitte et tout le mode sera malheureux.
4On peut élargir l’analyse aux populations ou individus qui se soumettent aux autorités extérieures (totalitarisme), voir 1984 de G. Orwell publié en 1949, qui décrit une emprise idéologique dans un système autoritaire.
5120 femmes meurent chaque année de féminicide en France.
6Vanessa Springora, Adèle Haenel.
7En Espagne, la lutte contre la violence de genre est cause nationale depuis 2003, après l’affaire Anna Orantes brulée vive par son conjoint avec qui elle est restée 40 ans, alors qu’elle avait porté plainte à la police quinze fois. La France s’inspire de l’Espagne pour le bracelet électronique.
8La levée du secret médical : les médecins peuvent signaler à la justice les cas de patientes sous emprise (sans leur accord) ou l’introduction du suicide forcé dans le code pénal : lorsque le harcèlement du conjoint ou du partenaire a conduit la victime à se suicider ou à tenter de se suicider, les peines seront de dix ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende. On reconnaît enfin que le harcèlement moral est aussi meurtrier que les violences physiques !