Sans les mots, nous serions des animaux, avec les mots, nous sommes des humains. Avec les mots, nous construisons nos histoires d’amour, en l’absence de mots, nous terminons une relation. Nos corps parlent aussi, mais pas assez pour les remplacer et la rupture survient lorsque nous ne parlons plus le même langage.
Les mots attendent des réponses
Le début d’une histoire d’amour est synonyme d’attente, de désespoir, de non-réponse et de larmes versées pour celui qui se refuse à devenir l’être aimé. Comme le souligne Stendhal, « C’est un amour qui ne vit que d’imagination ». L’amour est la plus belle des histoires à partager, mais si l’on sait bien raconter le début, on a plus de mal à dire le milieu et on évacue souvent la fin. Les mots tendres ont fait place à des dialogues de théâtre qui annoncent la crise et la scène finale. Pour Julie Neveux*, maîtresse de conférence en linguistique, il y aurait quatre étapes dans le langage du couple, d’abord l’amour-fantasme qui suit la rencontre, l’amour-fusion qui donne lieu à un langage érotique, l’amour-possession où chacun essaie de refaçonner l’identité de l’autre et le dernier, l’amour figé, où le langage ne sert plus à communiquer mais à invectiver et se conclut par « J’ai besoin d’air ».
Quand l’amour ne rime plus avec toujours
On devrait se méfier des mots… Après le « On était faits l’un pour l’autre » vient le « Il faut qu’on parle ». Si au début, le langage exprime une forme d’éternité, « Je t’aimerai toujours » ou « Tu es le soleil de ma vie », il se changera en « Tu râles encore » ou « Tu es toujours négatif ». On parle alors de scènes de ménage où chaque partenaire joue toujours le même rôle avec les mêmes répliques. Cette crise conjugale se terminera par « Il m’a encore fait une scène » ou « Arrête de faire ton cinéma ». Chacun a envie d’avoir le dernier mot, surtout dans une scène de jalousie prélude à une rupture finale, quand les mots sont mal interprétés ou retournés contre leur auteur. Et donne lieu à un procès sous-jacent qui enferme les deux êtres dans un mécanisme infernal d’où l’on ne sort jamais vainqueur, une des causes de la fin du couple.
Du mal-aimé au mal-aimant
Flaubert, à qui son amoureuse reproche de ne pas être assez lyrique, écrira : « Eh, moi aussi je t’aime, lis-le donc ce mot dont tu es avide et que je répète pourtant à chaque ligne. Mais chacun, tu sais, pense, jouit, aime, vit enfin selon sa nature. » On peut essayer d’éviter la rupture et de retrouver le discours amoureux, le langage sauvera alors le couple avec une vraie conversation, sans avoir recours à des formules toutes faites. C’est souvent ce qu’on attend des femmes qui portent la « charge expressive », elles qui s’évertuent à redonner du sens et à recentrer le débat pour dire à nouveau… « Je t’aime, encore ».
Vicky Sommet
Le langage de l’amour de Julie Neveux aux éditions Grasset (novembre 2022)