Le concept de Sugar Dating, né aux États-Unis il y a une quinzaine d’années, est une mise en relation d’une jeune fille, souvent étudiante aux fins de mois difficiles, avec un homme plus âgé assez fortuné pour subvenir à ses besoins. Version moderne de la demi-mondaine du XIXème siècle ou prostitution déguisée ?
Quelques clics suffisent
La Sugar Baby est « une personne attirante et ambitieuse qui aime ce que la vie a de meilleur à offrir, les voyages exotiques et les cadeaux ». Selon les sites de Sugar dating qui oeuvrent en toute impunité, un Sugar Daddy est un « gentleman moderne avec des goûts raffinés, des expériences exceptionnelles et des ressources abondantes qui recherche quelqu’un pour partager son style de vie extraordinaire et nouer une relation qui ait du sens ». Grâce à un abonnement mensuel, le Sugar Daddy a accès à un catalogue de jeunes filles à qui il peut proposer des rendez-vous : un verre, un dîner et… plus si affinités. La Sugar Baby qui accepte de le rencontrer reçoit en contrepartie de l’argent ou des cadeaux (parfums, vêtements…). Elle peut également accepter de passer la nuit avec son Sugar Daddy. Sous les faux airs d’une relation amoureuse, la Sugar Baby doit jouer à la petite copine et être disponible 24h/24 pour répondre aux textos ou demandes de son Sugar Daddy.
La prostitution n’est pas interdite en France, le délit de racolage a été supprimé depuis la loi du 13 avril 2016. Seul le client -le Sugar Daddy– pourrait être pénalisé, mais la preuve que les jeunes filles sont rémunérées est difficile à apporter, puisque les arrangements se font lors des rendez-vous et toujours en espèces. Le Sugar dating passe ainsi au travers des mailles du filet de la justice, les sites ne pouvant même pas être taxés de proxénétisme, car les relations sexuelles tarifées ne sont pas mentionnées. Il suffit de quelques clics sur un site de Sugar dating pour recevoir des demandes de rendez-vous. L’âge moyen de la Sugar Baby est de 18 à 22 ans.
Un documentaire édifiant
La réalisatrice et productrice Nina Robert a eu envie de parler des Sugar Babies, en découvrant la fascination qu’éprouvaient ses étudiantes (elle est également enseignante à la fac) pour le concept. « Le but recherché n’était pas de juger, mais d’entendre. » Pour aborder ce sujet sombre, « Sugar signifie quand même une sucrerie pour homme âgé…», elle a choisi un lieu de tournage (un château) pour accueillir les cinq jeunes femmes de 19 à 25 ans qu’elle a interviewées, pour qu’elles soient « dans un lieu neutre, comme dans un cocon confortable ». Le film de 52 mn présente des faits difficiles, mais de façon légère. La parole se libère, les témoignages sont lourds : « J’ai tout vendu », « Je vends mon corps », « Tu ne te sens pas fière après le rendez-vous », « On est un petit animal de compagnie ». Une scène de viol est incidemment évoquée. On y apprend que les Sugar Daddies préfèrent les très jeunes filles…
« Oui, c’est le la prostitution, mais c’est mieux que sur le trottoir », témoigne une des jeunes filles.
« En période de Covid, la précarité des étudiantes dans l’impossibilité de trouver un job augmente et nombreuses sont celles qui y pensent, sans en connaître vraiment la réalité. » Nina Robert, choquée par l’existence de ces sites à la littérature mensongère, souhaite informer les jeunes filles de ce que cette démarche représente et de l’engrenage dans lequel elles peuvent se retrouver « pour qu’elles connaissent les risques, et qu’elles décident de le faire ou non ».
Pour les besoins de l’enquête, Nina Robert s’est inscrite sur un site, mais à 32 ans, elle est déjà… « trop vieille…» ! « Sugar baby love, sugar baby love, I didn’t mean to hurt you…» chantaient les Rubettes dans les années 70. Aujourd’hui, « Sugar Baby » ne rime plus vraiment avec « amour »…
Marie-Blanche Camps
Sugar, documentaire de Nina Robert à voir en replay jusqu’au 11 mai 2021.