Les oubliées de la pénitentiaire

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Minoritaires en nombre dans les prisons françaises, soumises pourtant à la même règlementation que les hommes, les femmes détenues sont un peu « les oubliées » de l’organisation pénitentiaire. Certains organismes observateurs parlent parfois, à leur égard, de « double peine ».

État des lieux

Au 1er octobre 2019, 2 485 femmes étaient détenues dans les prisons françaises, pour un total de 2 543 places. Soit seulement 3,5% des détenus sont des femmes, souvent condamnées pour des faits mineurs liés à la misère, à la prostitution ou à la toxicomanie. Seuls deux établissements leur sont spécifiquement réservés : le Centre pénitentiaire de Rennes et la Maison d’arrêt de Versailles. Sinon elles sont hébergées dans des établissements ou quartiers distincts de ceux des hommes dans 44 maisons d’arrêt, 13 établissements pour peine, 3 établissements pour mineurs et 10 centres de semi-liberté.

Un isolement familial et social

À la différence des hommes dont les épouses viennent régulièrement au parloir pour maintenir le lien, une femme incarcérée est très souvent délaissée par son conjoint. Si un passage par la case prison pour un homme peut être considéré comme « une fierté », pour une femme il est une vraie stigmatisation, entraînant une perte de son rôle social et de son aura familiale. Le déséquilibre géographique de l’implantation des établissements renforce l’éloignement de certaines femmes et de leurs proches. Issues généralement de milieux défavorisés, nombre de détenues ont dû faire face à des situations de violences familiales ou conjugales. Elles constituent globalement une population socialement et culturellement  plus défavorisée que les détenus hommes.

Mère en milieu carcéral

Environ 50 à 60 enfants –innocents– naissent chaque année en milieu carcéral. Si aucune alternative ou aménagement de peine ne sont trouvés avec l’autorité pénitentiaire, l’accouchement se déroule dans un hôpital public approprié avec un suivi adapté. La chambre restant en permanence sécurisée par la présence d’une garde policière. Les femmes enceintes et les mères incarcérées avec leur enfant bénéficient d’un régime de détention spécifique, certaines prisons disposant de quartiers nurseries (29 établissements-cellules de 15 m2 minimum). L’enfant peut rester auprès de sa mère jusqu’à l’âge de 18 mois si toutefois elle en a gardé l’autorité parentale. Au-delà, c’est la rupture.

La féminité en kit

Chaque détenue reçoit à son arrivée un kit contenant un nécessaire d’hygiène. Sa composition variant selon les établissements (une brosse à dents, une savonnette, une brosse à cheveux et un paquet de serviettes hygiéniques). Son renouvèlement n’est pas assuré (sauf pour les femmes indigentes), à chacune alors de « cantiner » c’est-à-dire d’acheter elle-même ses produits de soins. Prix, délais de livraison sont de réels obstacles pour certaines et pour y remédier les femmes font preuve d’imagination et de débrouille avec parfois des risques sanitaires.

Une sexualité invisible

Sexualité, ce mot quasi absent des règlements, peu cité dans les études au féminin, conforte l’hypocrisie de l’invisibilité de ses pratiques en milieu carcéral. Le discours de l’administration pénitentiaire recommande de gommer tout signe de séduction et de sensualité dans les quartiers de femmes au sein de prisons majoritairement peuplées d’hommes, « au cas-où il y aurait une faille de surveillance ». Amitié-amoureuse, relations homosexuelles sont vécues dans une discrétion totale, car délation et homophobie règnent. La création de parloirs intimes où de U.V.F (unités de vie familiale) permet aujourd’hui de recevoir un ou plusieurs proches (entre 6 et 72 heures) en toute intimité, hors de toute présence du personnel.

Quelles possibilités de réinsertion ?

Mineures en nombre, les détenues ont un accès aux activités, au travail, à la formation, aux activités sportives et socioculturelles plus limité que celui alloué aux hommes. Déjà peu alphabétisées, la préparation à une réinsertion -surtout pour les longes peines- se révèle complexe. Entretien des bâtiments, travaux aux cuisines ou à l’atelier de confection où elles cousent les uniformes des surveillants, des activités genrées leur sont souvent réservées.

Minoritaires certes, les femmes détenues cependant ne doivent pas faire l’objet de discrimination. Conditions matérielles décentes et meilleure prise en compte de leur singularité sont nécessaires, mais comme le soulignait un rapport récent de l’OIP, c’est  « une réflexion globale du sens de la peine » qu’il faut aussi ouvrir.

Christine Fleurot

Sources : Ministère de la Justice – Observatoire International des Prisons

À VOIR
Encouragée par Robert Badinter, la photographe Bettina Rheims a réalisé en 2014 une série de portraits de femmes incarcérées au sein d’établissements pénitentiaires français. Détenues – La Friche de la Belle de Mai, Tour Panorama, Marseille. Jusqu’au 23 février 2020.

À LIRE
Dans une prison de femmes : une juge en immersion d’Isabelle Rome (Enrick B. Eds, 2018, 170p., €8,95).

AGIR
Aux Oubliées : initiative qui a pour but de distribuer des livres, personnalisés par un mot, une lettre à des femmes en prison. Adressez le livre de votre choix et votre message à Karine Vincent -L’Iconoclaste -c/o Aux Oubliées, 26 rue Jacob, 75006 Paris.
Citad’elles : un magazine créé par et pour les détenues de la prison de Rennes
Associations nationales d’aide aux personnes détenues et sortants de prison

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