Chambre à part

0

Notre génération revendiquait haut et fort la chambre partagée, c’était l’accession au couple, à la vie sexuelle, à la norme et faire chambre à part était considéré en quelque sorte comme infamant. Nous avons commencé la vie à deux dans des lits de 140, quand la norme aujourd’hui est de 160 (voire 200 pour les chanceux dont la taille de la chambre le permet) et que les 18-30 ans pensent à 23% investir dans un lit 200 x 200… Qu’en est-il aujourd’hui du lit conjugal ?

Un peu d’histoire

Michelle Perrot, historienne, a écrit un très joli livre¹ qui de l’Antiquité à nos jours esquisse une généalogie de la chambre, creuset de la culture occidentale, et explore quelques-unes de ses formes traversées par le temps. Le lit conjugal existe depuis longtemps (Ulysse y retrouve Pénélope lorsqu’il rentre de son Odyssée), mais il ne sert pas vraiment à dormir ensemble (appartement des femmes, gynécée, harem). C’est l’Église catholique qui va l’imposer à la fin du 18e siècle. Le lit unique est latin et catholique. Les deux lits mitoyens sont protestants et anglo-saxons (choix hygiénique et sociétal autant qu’amoureux). Ceux qui ont les moyens dorment seuls (le roi bien sûr, mais l’aristocratie aussi). Jusqu’au 18e siècle le lit dans les fermes accueille toute la famille. Le dormir seul reste toujours tabou de nos jours car l’idée du couple est encore construite sur la fusion des corps, signe d’amour. Pour l’historienne, l’obligation de dormir ensemble est une contrainte supplémentaire pour la vie à deux, le désir d’une chambre à soi est une revendication féminine et féministe, une façon élégante de supprimer le devoir conjugal et d’alléger le couple.

Les mauvaises raisons

♦ Résoudre les querelles ou les problèmes sexuels ? Non, on ne les évite pas chacun dans sa chambre.
♦ Mettre fin à la longue litanie des  « pouvoir mettre son vieux pyjama en pilou, manger dans son lit, regarder une série, consulter ses écrans, lire plus tard, se lever plus tôt, etc. » ? Non, ce n’est pas en sa faveur, mais plutôt un plaidoyer pour la culture de l’individualisme par opposition aux compromis qui sont la base de toute notion de couple (le lit étant le premier…).

Chacun ses habitudes

Jean-Claude Kaufmann, écrivain et sociologue qui aime à explorer le couple sous toutes ses coutures, vient de publier un livre² sur le sujet où il nous dit que le lit conjugal est le reflet de la contradiction inhérente au couple : le désir de partage et même de fusion versus le besoin de s’affirmer en tant qu’individu. Si le lit est le lieu de la sexualité, de la vie et de la mort, il est aussi celui de nos terreurs d’enfant et de tous les rituels dont on tarde parfois à se défaire (draps tirés, noir absolu, lire quelques lignes avant de s’endormir,etc.). En fait, chacun a ses habitudes et il n’y a pas un lit conjugal mais deux côtés bien séparés où l’un ne souhaite pas que l’autre vienne y mettre un pied… Les femmes rêvent d’enveloppements sécurisants (un homme bouillotte, une espèce de doudou…) quand l’homme pas. La femme aime la couette, l’homme le drap. Et pourtant, c’est l’endroit de la complicité chaude et surtout du debrief : on peut y retracer les événements de la journée, parler du futur, de ses projets. Mais les années passant, le curseur se déplace du désir de partage au confort individuel. Et surtout le sommeil se fait plus rare et difficile à trouver. Le top 3 des agacements relevés par l’écrivain ? Le ronflement, suivi par les différences de biorythme et le décalage des désirs.  Surprise de l’enquête qu’il a menée sur le sujet : ce sont les femmes qui demandent le plus souvent à quitter le lit conjugal…

Les bonnes raisons

♦ Pouvoir redormir sereinement car l’autre ronfle comme une trompette ou change de position chaque seconde ? Oui, le sommeil est primordial pour la bonne santé mentale et physique et retrouver l’autre au petit déjeuner avec plaisir et de bonne humeur est essentiel au couple qui dure. 
♦ Recréer l’érotisme dans le couple ? Oui, si on y adjoint des rituels de compensation : s’inviter régulièrement chacun dans le lit de l’autre, s’envoyer des textos, faire des visites surprises, donner des rendez-vous…

Alors, chambre à part quand l’appartement ou la maison le permet est-ce un adieu à la complicité ou bien au contraire un nouveau souffle ? À chacun et chacune d’y répondre en fonction de sa vie, son couple et son espace géographique. Mais au bout du compte, ne vaut-il pas mieux la chambre séparée au couple séparé ?

Marie-Hélène Cossé

¹Histoire de chambres, Michèle Perrot  (Éditions du Seuil, (Édition illustrée complétée en 2014).
²Un lit pour deux, la tendre guerre, Jean-Claude Kaufmann (Éditions JC Lattès, 2015).

L'article vous a plu ? Partagez le :

Les commentaires sont fermés.